Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous… ?

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 Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous… ?

… Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice, se demande Racine. Sans que jamais l’Ukraine puisse voir sa liberté, se demande sans doute Zelensky. De fait, ce qui se passe à 2000 kms de Paris commence à changer nos perceptions, surtout si la guerre s’installe davantage dans la durée. Alors, il ne s’agira plus seulement de chocs humains et matériels, même s’ils sont effroyables, mais de résistances des peuples, des économies et des systèmes politiques, face aux coûts des guerres bien sûr, plus encore face aux restructurations et aux redécoupages qu’ils amènent. En fait, il s’agira de nous.

D’abord, plus la guerre d’Ukraine dure et plus s’arme le monde, plus apparaît ce qui est indispensable pour vivre. Les alliances changent les chaînes de valeur, spécialisent les pôles de production, redessinent les logiques de mobilité. Chacun se renforce dans ce qui est vital pour lui et ses alliés, quitte à être plus problématique pour les autres. Les bateaux ne prendront plus les mêmes routes, ni ne transporteront les mêmes cargaisons. La géographie de l’énergie fraiera de nouvelles compétitivités, qui se voudront plus sûres. Et ainsi de suite : le commerce n’adoucit pas les mœurs, sauf s’il est armé.

C’est dans ce contexte qu’on produira en France plus de poudre, d’obus et de canons, sophistiqués, précis et à longue portée d’un côté, mais moins sophistiqués de l’autre, s’il ne s’agit plus tant de rompre finement des filières de commandement que de détruire des villes et des vies. L’horreur si l’on veut, mais Wagner ne laisse pas vraiment le choix. C’est alors qu’on revalorisera l’autonomie alimentaire et les ressources en eau. Ça commence : en quelques mois, sous l’effet des hausses de prix et plus encore de nouveaux comportements, la consommation de gaz en France a baissé de 20%, sans effet perceptible sur la croissance et l’emploi. La sobriété, c’est notre première réaction à la gravité de la situation.

Ce n’est pas fini. Dans ce chamboulement, la lecture des programmes des candidats à la présidentielle de 2022 prouve à quel point nous étions dans un autre monde. Pour les Verts : « toute intervention extérieure devra être soumise à l’approbation préalable du Parlement européen réuni en session exceptionnelle ». On imagine la célérité de la riposte, sachant que « l’arme nucléaire représente un danger pour la paix mondiale et la vie sur terre », ce qui n’est pas faux.

Pour la France insoumise, il faut « se retirer immédiatement du commandement intégré de l’OTAN puis de l’organisation elle-même, car « la France peut et doit se défendre elle-même ». Sauf erreur de notre part, pas de trace d’armes ou d’armée dans le programme socialiste. Pour le parti communiste, «un outil militaire moderne et cohérent sera reconfiguré. Il devra disposer de moyens non vulnérables, être polyvalent et apte à répondre au surgissement de crises souvent inattendues ». Facile ! En même temps, est voulue une « sortie de l’OTAN, et immédiatement de son commandement intégré, elle mettra un terme aux opérations militaires extérieures et fermera ses bases hors du pays. » On ne retrouve que chez Macron un budget de la défense à 2% du PIB, une dissuasion nucléaire et des « équipements conventionnels » modernisés et au-delà de 2% du PIB… chez Valérie Pécresse.

Bien sûr, on pourra toujours dire que l’invasion russe n’était pas prévisible, mais la Paix éternelle l’est moins encore. Ce qu’il nous faut soutenir, c’est la préparation des esprits politiques, mais pas seulement eux, à une réalité non pacifique. Parler d’un monde en guerres fera peut-être changer l’ordre des priorités en mettant, avec le renforcement de l’économie, un ardent désir de défendre la démocratie. Attendons donc les programmes présidentiels pour 2027 !

Pour avancer, il faut savoir que la realpolitik, ce n’est pas ne voir que le noir et de ne prévoir que le pire. C’est accepter « le mystère de l’inconnu », comme le disait un certain général, pour avoir le courage de l’affronter. Nous n’y sommes pas vraiment, en refusant de financer les retraites, derrière cette nouvelle Ligne Maginot qu’est l’OTAN. En face, la coalition des « illibéraux », très réaliste elle, avance et bouge, en sa faveur, l’ordre mondial des puissances. Mieux vaudraient donc la dette et les invectives au Parlement, en attendant les prochains programmes électoraux où entrerait plus de réalité ? « Mais quelle est mon erreur, et que de soins perdus ! », c’est toujours du Racine.