Cours de journalisme

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 Cours de journalisme

Le professeur : Bonjour à tous, nous approchons de l’examen final. Je vais passer parmi vous pour demander à chacun ce qui lui semble le plus important pour son futur métier. Je serai, volontairement, très direct, pour vous faire réagir. Vous d’abord !

Un élève au premier rang : Il faut montrer son indépendance d’esprit par rapport au pouvoir… en le critiquant !

Le professeur : Oui toujours, mais autant que les autres, jamais plus. Être dans le peloton des opposants, pas dans l’échappée : autrement c’est dangereux et sans intérêt pour la carrière. A vous !

L’élève voisin : Il faut trouver un nom qui accroche, pour décrire l’événement. Par exemple, à Villers-Cotterêts, lieu de naissance de la langue française par rapport au latin et à la langue d’Oc, il  faut parler de « Château Macron ». Ça imprime !

Encore un autre : Et ajoutons que les habitants de la ville ne sont pas tous d’accord pour cette rénovation. Pas besoin d’enquêter pour l’affirmer: « pas tous d’accord », c’est toujours vrai en France, et en plus il a coûté cher, ce « château ». Et tout ça, pour quelle rentabilité ?

Le professeur : « Rentabilité »… Attention à ce mot qui fait comptable, pire encore que capitaliste. Passons alors au choix du titre du papier ou de l’info : c’est pour vous !

Un élève, au milieu : Il faut qu’il soit bref, provocateur, puisqu’on est jugé selon le nombre de ceux qui cliquent, pas de ceux qui lisent et que la publicité vient de ce nombre. Et sans point d’exclamation.

Le professeur : Pas un mot ici sur la publicité — tabou. Mais vous avez raison pour l’exclamation : elle viendra implicitement du titre, pas la peine d’en rajouter. Et que fait-on pour le point d’interrogation ?

Le même : Le point d’interrogation, c’est quand on ne sait pas, donc qu’on ne sert à rien ! Ou bien pour dire qu’on répondra immédiatement, puisqu’on sait, donc c’est inutile.

Le professeur : Et en politique internationale ? Vous !

Un élève : Il faut toujours dire que c’est compliqué, sinon très compliqué, que l’histoire est ancienne, sinon très ancienne.

Le professeur : Bravo pour cette courageuse prise de risque, valable pour tout ! Nous en savons plus désormais grâce à votre « analyse », analyse entre guillemets !

Le même élève (décontenancé) : Je perçois la critique derrière l’ironie, mais dès qu’on s’avance, on est pris à partie. Il ne s’agit pas des faits à décrire, mais des pensées qu’on nous prête, les réseaux dits « sociaux » étant toujours à la manœuvre.

Le professeur : Et l’humour ?

Un autre : Jamais. Si vous dites : « la familiarité engendre le mépris », vous critiquez le pouvoir en montrant ce qu’il doit être, donc c’est efficace. C’est bien. Mais si vous continuez la phrase de Mark Twain : « et les enfants », c’est perdu.

Le professeur : Bref, il faut être triste ?

Un élève : Avec modération ! Car il faut toujours être sérieux, mais sans en rajouter dans les temps tendus que nous vivons. Le journaliste dit qu’il informe et, dans une certaine mesure, rassure en expliquant, sans trop le dire.

Le professeur : Et si on ne peut pas expliquer ?

L’élève : C’est toujours le cas : pas le temps, et on nous dira qu’expliquer, c’est excuser. Donc on décrit l’accident, l’incendie, les arbres cassés, la manifestation, les blessures et éventuellement les morts, car tout est compliqué et que nous n’avons pas toutes les informations. Et nous plaignons toujours les victimes et leur proches.

Le professeur : Et à la sortie, qu’allez-vous faire ?

Deux élèves, debout : Une ONG ! Une association écologique ! Du non lucratif !

Deux autres élèves, seuls : Nous, une agence de pub ! Le staff d’une influenceuse ! Du lucratif !

Le professeur : Au moins, ce n’est pas pareil ! Et pour conclure votre papier ou votre intervention ?

Un élève : In coda venenum disaient les Romains : c’est dans la queue de la vipère que se trouve sa poche à venin… C’est la dernière phrase qui marque, car c’est là que vont les lecteurs pressés, tous en fait, et c’est ce que vont retenir les lecteurs et auditeurs, tous. Et c’est là qu’il faut se distancier du pouvoir, en le critiquant.

Le professeur : Je pense qu’il vous faudra choisir entre « se distancier du pouvoir » et « se distinguer des autres », puisque tout le monde, ou presque, fait pareil.

Tous : Vous croyez ?

Le professeur : Je le crains… pour la profession.

Trois élèves, au fond : Et nous, on veut monter une boîte anti-fake news.

Le professeur : Vous, ce ne sera pas facile, mais au moins, vous aurez du travail. Malheureusement !