En Ukraine
Raymond Aron l’avait écrit en 1962 : « les hommes savent qu’à la longue le droit international doit se soumettre au fait. Un statut territorial finit toujours par être légalisé quand il dure. Une grande puissance qui veut interdire les conquêtes à un rival doit s’armer et non proclamer à l’avance sa désapprobation morale ».
Poutine le sait, et aussi que le dollar est le point faible de Trump, qui en est si avide. Les Européens savent que le rouble est celui de Poutine, parce que son économie de guerre dépend de ses ventes de gaz, de pétrole et de blé. Pour gagner, il doit durer, poussant la dette ukrainienne à un niveau qu’Européens, Américains et FMI ne pourront plus accepter. En face, les premiers savent qu’ils devraient sanctionner davantage la Russie. Et Trump taxe l’Inde pour qu’elle achète moins de pétrole russe, mais ne fait rien contre la Chine qui la remplace. Chacun connaît le point faible de l’autre. Surtout, la question n’est pas de signer un accord de paix, mais de préparer les rapports de force qui suivront, dans la paix.
En effet, la diplomatie ne consiste pas à régler les conflits présents, mais à les prévenir dans la durée. Si Poutine gagne, comment renforcer militairement l’Europe pour y freiner son expansion et encadrer ses futurs deals avec Trump ? Si Poutine perd, comment discuter avec ses… successeurs, et contrôler son renforcement militaire ? La morale aide seulement si on est plus fort. La question décisive est donc celle des intérêts de Trump — au-delà du Nobel.
Que veut Trump ?
C’est l’exploitation d’un rapport de forces entre fort (Trump) et faible (un autre), sans vraie projection. Le faible accepte ce qu’il n’a pas les moyens de contester. On aura reconnu les deals sur les tarifs douaniers, « négociés » entre lui et Japon, Corée du sud, ou un groupe de pays : Union Européenne.
Ces « accords » suivent la même séquence. Des tarifs confiscatoires sont annoncés, pour créer la « sidération », comme on dit. Vient une « pause », comptée en jours, destinée à amollir la résistance, avant un « rabais », puis une « acceptation ». Suivra l’Executive Order brandi par le président avec son inimitable signature. Voici plus de 90 textes et plus de 40 milliards de dollars par mois collectés… en les faisant payer surtout par les Américains. En attendant.
En attendant quoi ?
Cette opération de taxations mondiales, avec ses écarts par pays, est plus politique qu’économique. Le Royaume-Uni est taxé à 10%, un peu en souvenir de la special relationship de Winston Churchill, plus pour maintenir un coin américain au sein de l’Europe. Pour l’Union européenne, c’est une hausse de 15%, sans texte signé et avec nombre de points à éclaircir, en fonction des « négociations », lobbies et accords partiels à venir. Pour le Canada, la reconnaissance de la Palestine fait monter sa note, mais les deux réduisent les tensions. Pour l’Inde, on verra. Pareil avec le Brésil, surtaxé aussi à 50% pour cause du procès intenté à Jair Balsonaro, précédent président et ami de Trump.
Ce que disent les marchés
Les marchés financiers sont désemparés devant ce mélange fiscalité-économie-politique-jeux de communication et sautes d’humeur. Pour eux, ceci implique incertitude, moins d’investissements et d’embauches, ralentissement de la croissance partout et, aux États-Unis, montée des prix. Moins de croissance sauf si la hausse est en partie absorbée, avec baisses des profits et du pouvoir d’achat quand même. Les taux d’intérêt devraient alors baisser, sauf si ces tarifs douaniers robotisent plus, exportent ailleurs ou changent les chaînes de valeur. Le souhait trumpien de relocalisation et d’augmentation des entrées fiscales est incertain.
Ce que cachent ces hausses des droits de douane
Elles font baisser l’indice du dollar de 9% en six mois (et de l’euro de 11%). Soutenir la croissance américaine va aussi avec le souci de réduire la progression d’une dette publique à 35 000 milliards$, sur un total mondial de 102 000 en 2024, sachant que la moitié des titres émis en 2025 seront américains, un quart à court terme. Sur cette dette, 23% est achetée par la Fed et 38% par le système bancaire et financier. Sans risque ? Mais on préfère parler des 760 milliards en mains chinoises.
Trump ou Thucydide ?
Thucydide parle des ambassadeurs grecs qui demandaient aux Méliens de se soumettre à Athènes : « Vous avez le droit de votre côté, mais ce sont les forts qui imposent leur volonté aux faibles ». Pareil.
