Le deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron semble fini. Si tôt ? Pourtant, moins d’un an s’est passé depuis ce 24 avril 2022, où il a été réélu. Mais le 9 mars 2023, sur France Inter, Marine Le Pen fait acte de candidature pour 2027… ou plus tôt, si la chose est possible. « Même si cette réforme des retraites, ce que je ne souhaite pas, est votée, elle sera défaite lorsque je serai élue » dit-elle en effet. Dans 49 mois au plus tard, on saura. De fait la succession était ouverte, puisque le Président ne pouvait se représenter mais pourquoi, déjà, cette annonce ?
La réponse est simple : l’accélération du temps politique dans la démocratie. On n’y a le pouvoir, que si on peut le reconquérir. Tout le monde craint celui qui vient d’être élu, parce qu’il peut l’être encore. Puis, à peine l’élection finie, la suivante commence dans les têtes. Chaque politique jauge alors ses chances par rapport à ses opposants, avoués ou non. Conquérir le pouvoir se passe dans un monde abstrait, l’exercer a lieu dans le triste monde réel, le reconquérir se passe dans un monde fini (dans le cas de la Présidentielle).
En dictature par contre, tout est simple : on a le pouvoir parce qu’on a fait tout ce qu’il fallait pour, puis on s’arrange pour le garder, les moyens étant chaque fois… variés pour y parvenir. La fin du dictateur étant souvent tragique, on comprend ses efforts pour la repousser à tout prix. La démocratie est donc intrinsèquement fragile, bien plus que la dictature.
Dans ce panorama, la France ajoute sa version : le pouvoir s’y use plus vite qu’ailleurs, sous le feu des critiques sur tout. Et qu’il n’attende aucune idée, aide ou proposition d’un opposant, voire d’un « ami ». Proposer, c’est « collaborer » ou vouloir « remplacer », parfois les deux. Pire, quand on est réélu sans possibilité de l’être (Macron ?) , il faut se préparer à voir son pouvoir s’étioler jour après jour, voire à le partager en « cohabitant » avec son opposant majeur. En France, le premier quinquennat dure la moitié du temps prévu, le deuxième le quart.
Dans cette accélération de l’histoire, marquée par l’annonce de la candidature de Marine Le Pen, en attendant celle de Jean-Luc Mélenchon, nos mœurs politiques vont peut-être changer. Comment ? Nous n’irons pas forcément vers la VIème république parlementaire voulue par Jean-Luc, puisque la Présidence revient paradoxalrement plus que jamais à l’honneur, tant elle est convoitée. Nous quittons peut-être aussi la Vème dans sa version actuelle, avec son duo Président(e) et Premier(ière) ministre. A moins que l’une ou l’autre ne soit Premier ministre : quelle cohabitation ce serait ! Mais au-delà, quelles sorties de crise envisager ?
Première issue : le mandat à un an et demi du deuxième mandat présidentiel devient celui à dix ans et demi de qui veut lui succéder, s’il ou elle veut se donner des chances de succès ! Place à la stratégie et à la géopolitique ! Les questions devraient alors changer. Après celles sur la réforme des retraites, elles devraient aller plus loin et plus en profondeur. Fini le : « comment et avec qui allez-vous bloquer l’article x de la loi en cours de discussion ? ». Place au : « comment allez-vous maîtriser l’évolution de la dette publique, quand les taux d’intérêt à 10 ans qui étaient à 1,3% quand Emmanuel Macron a été réélu seront à plus de 3% ? ». La fin de ce désormais « vieux quinquennat » ouvre au long terme. « Quel est votre programme pour soutenir la compétitivité française, la formation des jeunes et celle des séniors, la décarbonation, le mix énergétique, l’indépendance stratégique de l’Europe et quelle y sera la place de nos forces armées… ? » Et l’euro ? Et la Chine ?
Deuxième issue : nous cédons à notre penchant politico-médiatique, critiquer sans proposer, sans évaluer et innover, sans écouter et chercher à convaincre. Car ce serait trop beau, trop rationnel et surtout trop intellectuellement éprouvant d’essayer de voir à long terme, surtout sur tant d’années. Demandons-nous plutôt qui va gagner pour cohabiter, diront les politiques. Mais attention : cohabiter n’est-ce pas prendre le risque de commencer à mettre en œuvre son propre programme et de s’user, surtout s’il est en profonde rupture ? Mais non ! Il s’agit de faire souffrir ce Président en fin d’exercice, pour affaiblir celui ou celle qu’il souhaiterait voir lui succéder, pour qu’il échoue !
Merveilles de la politique franco-française. Ici, gagner, c’est faire perdre.