La moyenne est une opération simple mais très dangereuse, pour cette même raison. On peut ainsi se noyer dans une rivière profonde de trente centimètres « en moyenne », si on ne pense pas que si l’eau affleure ici, c’est annonciateur d’un trou très profond, là. La moyenne est un piège, si on ne parle pas des écarts à elle, de « l’écart-type » pour continuer à parler comme les mathématiciens. Aujourd’hui, avec le réchauffement « moyen » de la planète, ce piège de la moyenne nous menace tous
Pour être assez tranquille, il faudrait ainsi le limiter à 0,5 degré en 2030, pour atteindre 1,5 degré à la fin du siècle, en freinant la machine. Ainsi évitera-t-on la tendance sur laquelle nous sommes embarqués : 2 degrés à la fin du siècle. Un demi-degré « en moyenne » dans quinze ans, cela ne paraît pas si difficile, d’autant que nous bénéficierons ainsi d’une mer plus chaude, des terrasses de cafés en novembre et d’un « Noël au balcon »… jusqu’à Pâques.
Mais cette « moyenne » a ses revers. C’est et ce sera 50 degrés ou plus dans certains lieux de l’Inde, où rien ne pousse plus, où on ne peut plus vivre et que l’on doit quitter. Ce sont des feux de forêt dévastateurs, au milieu de broussailles très sèches. Ce sont des rivières à sec, qui se prêtent à des photos saisissantes, des réservoirs d’eau au plus bas, tout ce qui force à réduire l’activité des centrales nucléaires et qui rend impossible notre air conditionné salvateur, plus des tornades. En effet, quand on fait des calculs plus précis et abandonne les moyennes mondiales, le paysage se différencie, les écarts se creusent. Ainsi, la France dont la température était pratiquement stable entre 1900 et 1960, enregistre actuellement autour de 1,5 degré de plus, avant 2,5 degrés en 2050 si rien ne change, ce qui sera difficile, avant +4 degrés en 2100, entre +3 et +5 degrés. Ce sera invivable. En même temps, nous le voyons, ce réchauffement qui s’accélère entraîne des orages terribles, des cyclones, des glissements de terrains, de nouvelles maladies et souffrances. La moyenne se venge.
Ces perspectives, qui se révèlent dans ces excès, impliquent des investissements massifs pour les contrer dans des sources d’énergie non carbonée, dans la refonte des réseaux d’électricité, d’eau ou de gaz, dans l’alimentaire, dans les chaînes internationales de production, dans les voies routières et ferrées, dans les villes… Bref, au lieu du gradualisme apparent, lié à ce réchauffement « moyen » car étalé dans le temps, vient l’idée qu’il impliquera un choc d’offre, keynésien. Serait-ce alors une opportunité inespérée permettant de soutenir la croissance, de moderniser nos pays, de rattraper la Chine ? Très cher mais lointain, donc pas catastrophique : toujours cette vision de la moyenne, devant l’énormité des besoins, en les supposant étalés dans le temps!
Mais on oublie aussi le choc de demande, récessif, que tout ceci implique. Par exemple, si on nous dit qu’il sera impossible en 2035 d’acheter en Europe une voiture à moteur thermique, c’est évidemment un problème majeur pour les Renault et Peugeot classiques ou hybrides, face aux concurrents chinois (Ora, BYD, Seres, Great Wall Motor…), dont les modèles peuplent le Mondial de l’auto à Paris. Cette réglementation poussera-t-elle les consommateurs, même aidés, à passer au tout électrique, avec des véhicules… européens ? Carlos Tavares, le Président de PSA Peugeot-Citroën et de Fiat Chrysler, s’en inquiète et demande 10 ans de protection douanière en Europe. Ainsi, le choc de demande peut être plutôt négatif. Les acheteurs prolongeront au maximum leurs véhicules « classiques » : y aura-t-il assez de bornes de recharge pour les nouveaux modèles ? Et qui achètera les vieux ?
Les ménages peuvent jouer l’attentisme. Ils passeront aux véhicules électriques quand les thermiques seront usés, en 2050 (?) ou interdits dans des zones de faible émission (lesquelles ?). Que feront les constructeurs, qui doivent investir ? L’automobile, principal bien durable du ménage, sera le vrai test de ces chocs opposés et liés, d’offre et de demande, sur lesquels nous ne savons rien.
Quand les jeunes dégonflent les pneus des SUV ou détruisent des bassines, ce n’est pas l’anticapitalisme seul qui les anime, mais surtout l’éco-anxiété. Malgré les pieux engagements de la COP 27, on voit peu de coopération, et la guerre est là ! Il faut sortir des moyennes à long terme pour affronter l’inconnu et ses exigences.