Cassandre chez le Docteur Freud

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Docteur, je viens vous dire qu’il nous arrive la même chose : nous prévenons et personne ne nous croie.

 Cassandre chez le Docteur Freud

Vienne, 19 rue Bergasse, 23 heures.

Docteur Freud : Vous ici ! Quel malheur allez-vous nous annoncer ?

Cassandre (qui regarde les collections de statuettes grecques du Docteur) : Quand même, quel talent, ces Athéniens ! Docteur, je viens vous dire qu’il nous arrive la même chose : nous prévenons et personne ne nous croie. Moi, ça vient d’Apollon. Il me demande de coucher avec lui contre le don de prédire l’avenir. J’accepte, il me permet de prévoir… mais je refuse de coucher ! Alors il me punit : je dirai le futur, mais personne ne me croira ! Vous, vous parlez des pulsions, du pouvoir, de libido, de mort et de la connaissance de soi, pour guérir, et rien ne change ! Les hommes, comme Donald et les femmes, comme Hélène, veulent le pouvoir et sont prêts à tout. Rien ne les arrête, aucun message des Dieux, comme ce COVID-19 !

 

Dr F : Quoi, ce virus serait un message pour que nous arrêtions de nous battre entre nous !

C : Bien sûr. Regardez les pulsions qui animent Trump et Xi, l’un et l’autre, l’un contre l’autre. Ils se préparent à la guerre de Troie, en plus grand. Alors les Dieux leur envoient le virus : confinez-vous, « connaissez-vous vous-mêmes ».

 

Dr F : Mais je ne peux pas annoncer que Thanatos, la mort, est remplacée par une chauve-souris !

C : Les Dieux parlent par énigme. Moi, on ne m’a pas crue ; vous, c’est possible. Beaucoup de vos disciples pilotent les cœurs, les corps et… le reste. Faites leur donc passer un message, un écrit sur les excès du pouvoir, du « ça », de la bête qui est en nous. Écrivez un bel article sur l’hubris, cet orgueil des politiques… qui les mène aux conflits et aux guerres. Vous avez bien vu, chez vous, ce que ça a donné !

 

Dr F : Vu oui, mais ni assez tôt, ni sa monstruosité. Surtout : je n’ai pas pu y faire grand-chose. Et je n’étais pas le seul : c’est un engrenage qui était à l’œuvre, comme aujourd’hui. Bien sûr, on trouvera toujours, après coup, des prophètes qui avaient annoncé ces horreurs et qui n’ont pas été suivis. C’est toujours pareil : il y aura toujours des pestes, c’est dans la nature, et des guerres, c’est dans la nature de l’homme.

C : Mais c’est pire aujourd’hui ! Moi, les Dieux m’ont punie. Mais vous, vous ne pouvez quand même pas dire que tout est écrit dans nos gènes, donc qu’il n’y a rien à faire !

 

Dr F : Et pourtant ! Et quel titre voulez-vous pour ce texte : « COVID-19 : le message des Dieux aux hommes, comment l’aliénation devient une pandémie.  ».

C : J’aime bien !

 

Dr F : Mais dans ma théorie, l’aliénation est le risque de chacun, à soigner seul, pas de tous !

C : Mais non : les hommes se battent « entre eux » parce qu’ils ne parviennent pas à gagner « en eux ». Pas de courage, de maîtrise, de morale, pas de héros sur soi, pas de masque, pas de distance. Après Athènes contre Sparte, c’est Washington contre Pékin : fous de ne pas être sages, ils vont se massacrer. C’est le message de ce COVID-19 : 800 000 morts pour 7,7 milliards d’hommes : 1 sur 10 000 ! Et vous ne voulez toujours pas comprendre ? Combien donc vous en faut-il ?

 

Dr F : Cassandre, les hommes sont sourds non par la punition des Dieux, mais parce que ça les arrange. Ils s’occupent de ce qu’a le voisin, de l’argent, du sexe, du pouvoir et de toutes les combinaisons entre ces tristes passions. Tuer est leur raison avouable de vivre.

C : Alors il ne faudrait pas les prévenir des risques qui viennent : plus de morts en attendant les émeutes et les guerres ?

 

Dr F : Essayons, mais la peur est dans l’homme et le mène à la violence. Ce que j’essaie de faire est de le calmer, en lui faisant découvrir les ressorts de ses actes, derrière ses mots.

C : Mais vous ne pouvez pas « analyser » chacun : il faut les prévenir tous. Autrement le virus va les faire se battre : il s’étend !

 

Dr F : Vous devez savoir qu’on ne peut rien contre les Dieux ! Et je pense qu’on ne peut rien contre la bête humaine.

C : Vous ne croyez ni aux Dieux, ni à l’Homme !

 

Dr F : L’homme a toujours fait la guerre, avant Troie et après : deux Guerres mondiales au compteur ! Aujourd’hui, je crains que ce virus ne soit plus une raison pour en faire d’autres que pour dialoguer et coopérer.

C : Donc on n’écoutait pas mes prédictions par vengeance des Dieux, mais par désir des hommes ?

 

Dr F : Nous faisons des statuettes, pour les détruire !

C : Vous êtes désespérant !

 

Dr F : Non ! Sur ce divan, j’écoute les humains et ne suis pas désespéré.

C : Désespérante, pas désespérée : c’est moi !

 

Dr F : Et moi aussi. Allons, j’écris votre papier !