Boum, 30 août 2020 ! Véolia propose d’acheter Suez, « entre égaux », avant que l’atmosphère ne se tende. Mais le ministre Bruno Le Maire ne soutient pas l’opération, autrement dit s’y oppose, indiquant qu’il y a la place, selon lui, pour deux champions mondiaux d’origine française. Il doit le savoir…
Boum, 19 novembre 2020 ! Danone, porte étendard des « entreprises à mission », reçoit une lettre du « fonds activiste » Bluebell Capital. Il conteste la gestion et la stratégie du groupe, demandant le remplacement de son PDG. « Le groupe n’a pas géré au mieux le bon équilibre entre le retour de valeur pour les actionnaires et le développement durable » y lit-on. Autrement dit, il s’agit certes d’une entreprise sociale, « à mission », mais pas forcément assez profitable. Le ministre Bruno Le Maire ne s’oppose pas directement à la démarche, mais indique sur BFM qu’il n’est « pas illégitime qu’en période de crise, l’État retrouve son rôle de protection ». Il sera donc « normal » pour lui d’être vigilant sur la suite des événements…
Boum, 2 janvier 2021 ! Carrefour, emblème de la consommation française et inventeur des hypermarchés, serait acheté par Couche-Tard. Couche-Tard ? Oui : un réseau de « dépanneurs », comme on dit au Québec, sa terre natale, des supérettes liées à des pompes à essence qui ne ferment jamais ! Mais Bruno Le Maire s’y oppose, au nom de « l’autonomie stratégique alimentaire », craignant les pénuries de pâtes et de riz (sic), alors qu’il s’agit de construire, pour les deux partenaires qui semblent d’accord, un leader mondial. Le ministre le sait mieux qu’eux…
Après chacun de ces trois coups, les cours boursiers de la cible montent puis rebaissent, si le mariage ne doit pas se faire de sitôt. Pour la bourse, un mariage est source de restructurations, donc de pertes d’emplois, qui inquiètent les politiques, mais de restructurations qui doivent offrir au nouvel ensemble une part de marché supérieure, avec des coûts de structure réduits, donc des profits supérieurs dans la durée, avec plus d’emploi. Les politiques n’entrent pas dans cette perspective : à chacun son court-termisme.
Cependant, le Ministre (tout Ministre) aurait tort de croire qu’il suffit de s’opposer à ces rapprochements plus ou moins amicaux pour les empêcher, car ils partent tous d’une base économique : la remontée attendue des profits. Et ceci est bien plus vrai dans la période actuelle où chacun cherche à se positionner au mieux dans l’économie post-Covid. La croissance y sera sans doute durablement faible, comme l’inflation, les taux bas le resteront et les crédits seront abondants. Dans cette perspective (trouble), du point de vue des entreprises, les fusions-acquisitions sont d’autant plus légitimes et aisées à financer. Et si un rapprochement est refusé ici, pour des raisons politiques ou autres, lui ou un autre aura lieu là. Souvent, il forcera le premier à se faire, dans des conditions éventuellement plus dures. La bourse continue de penser ainsi à un rapprochement dans les services, d’autant plus que Suez est allé chercher appui auprès du fonds français Ardian et du fonds américain GIP (Global Infrastructure Partners). On verra, sachant que Véolia est le premier actionnaire de Suez : la bataille n’est pas close et le cours de Suez n’a pas fini de monter. Pour Carrefour, les arguments s’affrontent dans les médias, mais Carrefour a des coûts élevés et doit beaucoup investir. Les discussions (amicales) se poursuivent donc sur des rapprochements partiels avec Couche-Tard. La balle reviendra ou rebondira ailleurs : Auchan, Casino… Et pour Danone, le cas semble sérieux avec un capital très éclaté et un cours de bourse qui passe de 73 euros fin janvier 2020 à 55 actuellement, avec des conseils boursiers qui parient sur une remontée, donc sur un mariage et d’autres qui recommandent de vendre, donc qui n’y croient pas. N’empêche, Bluebell a pris une petite participation et ne cache pas son « activisme ». Il devrait en être le premier bénéficiaire en termes financiers et surtout de notoriété.
Carrefour, Véolia, Danone : voilà les trois coups des premières fusions dans les secteurs les plus classiques et qui souffrent aujourd’hui le plus. En même temps, la révolution de l’intelligence artificielle frappe à toutes les portes, pour mieux connaître et traiter les clients… en attendant qu’arrivent vraiment la banque et l’assurance. Trois coups : le rideau se lève.