Le Patrimoine : Mon cher Conseiller, je n’y comprends plus rien. Les bourses montent partout. Le CAC 40 vient de repasser à 5300, il lui a fallu dix ans pour se refaire. Il est à 28% de son plus haut historique de 6904, le 4 septembre 2000. Encore un effort ! Et le Dax allemand, le Dow Jones et le S&P vont de record en record. On a partout les boums des bourses !
Le Conseiller : Je sais, qu’est-ce qui vous préoccupe ?
LP : Tout ! On peut quand même s’inquiéter au sujet de la Corée du Nord, de la mer de Chine (qui mérite maintenant son nom), de l’Irak et de la Lybie et, désormais, des relations Iran, Liban et Arabie Saoudite. Sans oublier le Venezuela, la Catalogne et Donald Trump ! Ce sont partout des bruits de bottes !
LC : Je sais ! Normalement, quand les risques montent, les bourses baissent. Or l’optimisme n’a jamais été autant répandu !
LP : Oui, et quand on s’inquiète, on se rue vers les obligations les plus sûres, dont les rendements baissent ! Et ils sont déjà très bas ! 2,4% pour les bons du trésor à 10 ans américains, 0,4% pour les allemands et 0,6% pour les français. Nous sommes euphoriques pour la bourse, effrayés pour les obligations !
LC : La bourse lit les journaux boursiers, où on ne parle que de croissance, de profit et d’investissement. Et les marchés obligataires lisent les journaux obligataires, où on ne parle que d’inflation faible et de risques croissants ! Et alors on achète des actions chères, avec un dividende très bas, parce qu’on pense qu’elles vont monter, et des obligations chères, avec un rendement très bas, parce qu’on pense que les actions vont s’effondrer !
LP : Et vous conseillez à vos clients investis en actions de continuer, et à ceux investis en obligations de continuer aussi ? Vous êtes sûrs de gagner avec les uns, ou les autres ! Ceci m’inquiète, mon cher Conseiller !
LC : En fait, ce qui explique tout cela et réconcilie aujourd’hui tout le monde, ce sont les banques centrales, avec leurs tombereaux d’obligations publiques. Elles ont fait baisser les taux longs et ont tout faussé en finance !
LP : Mais ça ne peut pas durer !
LC : En effet. La Fed va commencer à vendre ses bons du trésor et continuer à monter ses taux, et la BCE fera pareil dans un an et demi. Donc les taux vont monter, les détendeurs d’obligations râler et les actionnaires s’inquiéter !
LP : Vous me donnez raison, plus les bruits de bottes !
LC : Non, plus il y en aura, plus les banques centrales vont aider et soutenir les marchés !
LP : Quoi, les bruits de bottes vont soutenir les boums de bourses !
LC : Oui ! Tout est changé. Vous connaissez l’adage boursier : « achetez au son du canon », c’est la guerre, les inquiets vendent pas cher, il faut leur acheter ! Puis : « vendez au son du clairon », c’est la paix, les inquiets rachètent cher, il faut leur vendre ! Mais aujourd’hui, il y a partout des canons et des clairons !
LP : Donc il faut jouer la guerre permanente, avec le soutien permanent des banques centrales ? Mais les obligataires seront coincés, car l’inflation remontera un jour !
LP : Euthanasiés plutôt, comme disait Keynes. Mais à eux la gloire d’avoir soutenu les Etats, aux actionnaires l’opprobre d’avoir aidé le capitalisme !
LC : Pas de sarcasme ! Que vont faire Powell qui succède à Janet Yellen, et Draghi ?
LP : Powell va accompagner la politique Trump, c’est bien pourquoi il l’a choisi : baisses d’impôts pour les entreprises et facilités bancaires, pour qu’elles aient plus de profit et de crédit.
LP : Donc plus de croissance et d’inflation, donc plus de hausses des taux courts !
LC : Non, un peu plus d’inflation. Mais il laissera faire, en montant moins les taux que Janet ne l’aurait fait. Les bourses vont adorer !
LP : Et Draghi ?
LC : Il continuera à acheter des bons du trésor jusqu’à fin 2018, puis un peu moins. Mais il en achètera avec ses bons qui viennent à échéance puis augmentera ses taux « bien après » la fin de ses achats, well past, comme il dit toujours. Disons juillet 2019…
LP : Comment pouvez-vous être si précis ?
LC : Parce que son mandat s’arrête le 31 octobre 2019 et qu’il jouera les prolongations autant que possible, avant de monter les taux.
LP : Donc Powell pousse la croissance américaine, avec l’inflation, la bourse et le dollar. Mais si le successeur de Draghi est plus allemand, il serre ici, aide les obligations, fera souffrir nos bourses et notre croissance qui revient !
LC : Oui : il nous faut un Draghi français !