L’Élysée, entre Brigitte Macron et Emmanuel Macron, Président de la République pour quelques mois encore. Il rêve de se représenter, pas elle. Le ton monte.
Brigitte : Non, non et non ! J’en ai assez ! Un œuf t’a raté il y a peu, mais pas une gifle. Tous les jours, les critiques sont plus violents et grossiers à ton et à mon égard ! Le monde devient fou entre anti-vax, pro-Zemmour, islamistes radicaux et verts décroissants. Et j’oublie les woke ! Les gilets jaunes vont finir par passer pour de gentils retraités perdus dans des bourgs qui meurent. Et les juges voudront bientôt ta peau !
Emmanuel : Mais je suis le mieux placé dans les sondages et le plus intelligent ! Le Pen ne s’est pas remise du débat où je l’ai écrasée. Zemmour n’a pas d’idées économiques, sauf les miennes, reprend de Gaulle en 62 pour la géopolitique et veut résoudre tous nos problèmes par le départ des immigrés. Les Républicains se divisent. Les socialistes ont les idées de leur candidate, c’est dire. Mélenchon échange des citations et des balles de fond de cours avec Zemmour. Ils ne veulent pas du match retour Le Pen contre moi, parce qu’ils en connaissent le résultat et cherchent qui m’opposer au second tour ! Pour le suspense !
B : Je sais, mais c’est perdu. Déjà, César nous avait envahis grâce aux Gaulois ! Nous idéalisons le passé et ne voulons pas bâtir l’avenir, alors nous critiquons tout et, comme on dit maintenant, « déconstruisons ». Mais moi je suis née en 53 et me « déconstruis » : je prends ma retraite ! Et toi, viens avec moi, écris des livres et fais une conférence… rémunérée, de temps en temps.
E : Je comprends ta fatigue, avec le rythme que nous vivons tous deux. Même moi, passer huit heures à discuter sans arrêt avec des maires de campagne ou vingt avec des européens, cela finit par me peser.
B : Mais si tu te représentes, j’aurai 74 ans à fin de ton deuxième mandat ! Tu me diras que c’est l’âge où Biden commence son premier, mais tu vois où il en est, après neuf mois ! Laisse-les. Ils te rappelleront, comme Cincinnatus !
E : Même pas. En politique, seul de Gaulle est revenu, douze ans après.
B : C’est beaucoup pour moi…
E : Donc je demeure… dans cette demeure. Tout le monde saura que je ne puis me représenter après un deuxième mandat, donc que je pourrai agir fortement. « Révolution », c’était mon livre de campagne !
B : Sauf que « tout le monde » autour de toi ne va pas t’aider à « agir fortement », comme tu le rêves, mais se préparer pour être « ton successeur » ou travailler avec lui. Tu veux jouer au Schröder de la France ?
E : Sauf qu’ici, pas d’autre Merkel que moi ! Si je réussis, Le Pen, Pécresse, Barnier, Mélenchon et Bertrand s’en vont. Une page se tourne et je reste.
B : Sauf que Xi, Poutine et Erdogan aussi, restent. Et ici, c’est une nouvelle génération qui arrive, dans un désordre croissant, croissant : comme notre intérêt à long terme !
E : C’est vrai pour les taux, personne n’en parle. Tu crains une crise ?
B : La finance n’est pas ma spécialité, mais qui nous prêtera à 0% à 10 ans avec 2% d’inflation et des manifestations en tous sens ?
E : C’est pour cela qu’il faut que je sois élu, pour éviter cette chienlit !
B : C’est pour cela que tu ne dois pas te présenter : la chienlit viendra. Si tu es élu, tu ne feras que la retarder de deux ans. Ce qui nous arrive, arrive partout : regarde l’Allemagne, regarde surtout les États-Unis !
E : Je regarde, et alors ?
B : Avec les dictateurs, il y en a un seul pour longtemps, certes avec beaucoup de morts avant et pendant.
E : « Certes » ! Et avec la démocratie ?
B : La confusion, jusqu’à un pouvoir fort !
E : Mais ce n’est pas mon style !
B : Dommage, au fond !
E : Je ne te comprends pas : tu ne veux pas que je me présente parce que je serai élu, mais sans vraie majorité pour faire les réformes et que ce sera l’horreur à mi-mandat. Tu préfères que l’anarchie s’installe ?
B : Oui au fond, comme cela tu pourras vraiment agir ! En politique, il n’y a que le rapport de force.
E : De forces, au pluriel, ici. La France n’est pas « diverse » comme disait Braudel, mais « éclatée façon puzzle », comme disait…
B : Audiard ! Ce sera l’horreur !
E : Non : mon « moment de Gaulle » à moi. Je me présente, suis élu de peu, sans majorité à la Chambre. Deux ans après l’horreur, comme tu dis. Je dissous, mais ai la majorité, fais « les réformes indispensables » et entre dans l’Histoire.
B : Bon, moins sûre que toi… Mais alors surprends les en étant ferme, ces Gaulois !