Brexit : ces pays qui ne se reconnaissent plus

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Insondables anglais ? Le 24 juin au matin, 51,8 % des électeurs du Royaume-Uni sont pour le Brexit (le Royaume-Uni sort de l’Union) contre 48,2 % pour le Bremain (le Royaume-Uni y reste). Pourtant, la veille, selon le Financial Times, 48 % des sondés répondaient Remain et 46 % Leave. Mieux, en cette fin de journée du 23 juin, les bookmakers donnaient Remain à 84 %, contre 78 % le matin.

 Brexit : ces pays qui ne se reconnaissent plus

Incompréhensibles revirements ? Les sondages par Internet rendent mal compte de ce qui se passe en profondeur. Par internet, beaucoup de Britanniques répondent « ne sais pas » alors que, souvent, ils savent. Naît ainsi un écart entre la décision qu’ils ont déjà prise et le bouton sur lequel ils pressent. Comment comprendre : inquiétude, tactique ou dissimulation devant une position jugée extrême ? En revanche, sondés par téléphone, ces mêmes britanniques se montrent plus favorables à la sortie de l’Union, non parce qu’ils sont moins indécis, mais parce qu’ils sont moins incités à l’être. L’enquêteur (ou l’enquêtrice) ne propose pas à la personne interrogée les solutions : « ne sais pas » ou « n’ai pas encore fait mon choix ». Pas d’échappatoire, et on aura comme résultat ce qui sortira plus tard des urnes ! Pourtant, ces enquêtes par téléphone qui contredisent celles d’Internet ne sont pas vraiment prises en compte. Les marchés financiers ne veulent pas y croire.

Incrédules marchés ! Au pays où la City est censée dominer, représentant plus de 10 % de son PIB, et où donc les logiques économiques et financières semblent l’emporter, la position des marchés paraissait la plus sûre, la plus rationnelle, la plus calculée, dans ce pays du pragmatisme et de l’échange. D’ailleurs, le jour même du Référendum, les calculs complexes de Bloomberg donnent au Brexit une probabilité de 24 %. Aussi faux que les Bookmakers !

Le cœur ou la raison ? Pour comprendre ce qui s’est passé et ce qui pourrait, malheureusement, guider les politiques britanniques et les populistes français, allemands, hollandais ou italiens… on pourrait parler d’émotions. On dirait alors que l’Angleterre (mais pas l’Ecosse ou l’Irlande) ne se reconnaît plus dans ces gratte-ciels qui dominent la Cathédrale Saint-Paul, ni dans ces nouveaux riches, tellement plus riches que ses anciens Lords. Pour les partisans du Brexit, les migrants ont beaucoup joué. Les « pauvres migrants », c’était la peur de perdre leur culture, après avoir vendu de belles maisons et quelques grandes entreprises aux « riches migrants ». Pour les partisans du Bremain, jeunes surtout, c’était la peur de leur génération perdue, perdue si elle s’isolait. Quand la raison n’est pas assez présente, ce n’est pas le cœur qui joue : c’est la peur.

Des limites aux réformes, pour une nation ? Oui si les explications et les accompagnements manquent. Les nations ont une capacité donnée d’absorption des changements. Uber, migrants, euro, chômage, inégalités, c’est peut-être trop, en trop peu de temps, parce que le bénéfice à tirer de ces changements n’est pas encore visible. La capacité d’absorption des chocs dépend, pour une nation, de la qualité de ses dirigeants et de la crédibilité de leurs actions pour faire comprendre qu’il s’agit de croissance et d’emploi, mais dans un nouveau monde. Qualité et crédibilité manquaient et manquent encore, partout. Alors, quand les peuples sont perdus, ils veulent revenir en arrière, surtout s’ils vieillissent.

Pour éviter l’éclatement, la zone euro doit être plus claire et plus courageuse. Les peuples ne sanctionnent pas Bruxelles, mais l’incompréhension des messages envoyés depuis Bruxelles. Ils sont mal relayés, sinon contredits, par Paris ou d’autres capitales, où les dirigeants n’assument pas les réformes, si nécessaires, que par ailleurs ils demandent « à Bruxelles » !

Rajeunir la subsidiarité. L’idée de traiter les problèmes au niveau où ils se posent est juste, mais médiévale. Il y avait, dans le bourg, un vrai sens de la responsabilité. Pas aujourd’hui, si on oppose le « local » du pays au « global » de la zone euro. Alors, la « responsabilité, c’est « les autres » ! Sans explication sur les enjeux et les façons d’avancer, la subsidiarité est détournée de sa nature, la co-responsabilité, pour laisser place au conservatisme et à l’égoïsme. La subsidiarité reste la solution, mais seulement si elle aide à dessiner l’avenir, dans un monde ouvert. Autrement, ces pays qui ne se reconnaissent plus, croient se reconnaître dans le populisme.

 

Voir sur ce sujet le Zoom vidéo du 23 juin : Les conséquences du Brexit.