Illustration : Wellcome Images (CC BY 4.0)
Madame, Monsieur le Président,
Prenez garde. Vous vous exposez aux deux risques que j’ai analysés : « le piège de l’anecdote » et, plus grave, « la méconnaissance de soi ».
Pour « le piège de l’anecdote », j’avais écrit « Misère de l’homme sans Dieu ». Un titre de l’époque, devenu : « la chute dans les sondages ». Je ne parle pas du Pari dit « de Pascal », mais plutôt de ce que j’ai gribouillé sur le peu de sérieux de l’être humain. Souvenez-vous de ce prédicateur, très savant mais très mal rasé. Bien vite, on ne va plus regarder que cela, on n’écoutera plus ce qu’il dit, on en rira bientôt.
Votre discours aux Ambassadeurs le 29 août a été jugé… bien long, 1 heure 20 précise un « analyste ». Avant, on a noté que vous avez dépensé 26.000 euros de maquillage (et n’en avez rien dit). Certes, vous avez réduit les moyens de votre épouse, deux aides pour traiter son courrier, trois fois moins que pour Mesdames Hollande, quatre fois moins que pour Madame Sarkozy, dix fois moins que pour Madame Chirac… Mais au lieu d’apprécier l’effort et la transparence, c’est jugé excessif. Signe d’un temps qui se couvre. Et j’entends dire que Madame Macron voudrait changer la vaisselle, enlever les rideaux des grands salons, revoir mobilier et tableaux. Attention aux dérives : on peut plus aisément critiquer la porcelaine que l’action au Sahel, et l’une affaiblit l’autre ! Et vous signez les lois sur un beau bureau, comme aux Etats-Unis ! Attention aux images qui demeurent : Sarkozy restera « l’homme du Fouquet’s », comme vous avez failli être celui de la Rotonde.
M. Ruffin, qui a été à La Providence, l’école jésuite d’Amiens (comme vous deux je crois), vous prévient : « Je pense qu’il ne faut pas être strictement sur le Code du Travail parce que c’est technique, moi je suis contre le projet hein, mais ce n’est pas ça qui va marcher. Ce qui va marcher c’est des trucs à la con, c’est les vaccins, le statut de la première dame, les 26.000 euros de maquillage, des trucs comme ça. C’est l’agrégation de (ces éléments) autour de la figure d’Emmanuel Macron qui va faire bouillonner la cocotte. Ce n’est pas strictement le Code du travail ». Le cinéaste de Merci Patron dévoile sa démarche. Avec ces attaques latérales dont se délectent les libelles, les Ordonnances sur le Code du travail sont en jeu. Elles vont plus peser que les manifestations de la CGT. Vous dites « fainéants » et personne n’écoute votre discours sur l’avenir de l’Europe à Athènes !
Le deuxième risque, « la méconnaissance de soi », est autrement plus sérieux. Quand j’écrivais sur « la condition des grands », je leur demandais de la mériter et de ne pas confondre les « grandeurs d’établissement », comme Roi ou Président, avec les « grandeurs naturelles », celles de l’âme, qui seules légitiment les premières. Veillez donc, quand vous parlez de « fainéants, cyniques, extrêmes », à être compris. Vous dites critiquer vos prédécesseurs, pas vos électeurs : soyez plus clairs.
Dites à vos Ministres de ne pas alimenter les rumeurs, les petites phrases, les petits faits. Dites qu’il ne faut jamais trop en faire, trop se mettre en avant et montrer sa compétence ou l’avancée de ses mœurs, vouloir trop et trop vite « transformer » les Français. Surtout, il faut immédiatement délimiter ce qu’on entend changer. Ainsi en est-il de ces « contrats aidés » qui pourraient concerner… entre 100 000 et un million et demi de personnes ! Il est exclu de les arrêter tous, mais lesquels et quand ? Qu’est-ce qui va être fait pour aider ceux qui les touchaient ? Et pour rendre les services qui disparaissent ? Ce qui fait peur, c’est l’imprécision et l’indifférence des grands.
Le risque, après les phases de surprise, observation et respect suite à votre élection, ce sont les boules puantes, les fléchettes, les banderilles puis aujourd’hui les réactions hostiles du peuple. Vous voulez une transformation, vous risquez une révolution : revenir au point de départ !
Contre le « risque de l’anecdote », sachez que tout ce qui est petit sera « agrégé » contre vous, comme l’annonce François Ruffin. De votre part donc, ni naïveté, ni excès, moins de tentatives éparses, moins de concepts. Faites peu, calculé, expliqué, concret.
Contre « le risque de la méconnaissance de soi », ne prétendez point traiter les Français avec dureté. Soulagez leurs nécessités, mettez votre plaisir à être bienveillant. Le Français n’est ni ange ni bête, mais le politique qui veut faire l’ange, nous fait bêtes.