Le Bitcoin va-t-il nous sauver ou nous détruire ? Nous détruire, disent les Nobels d’économie : c’est une bulle. C’est une bactérie, précisent les banquiers centraux : elle va tout corrompre. Et les responsables politiques et policiers concluent : c’est donc une bombe...
Mais non ! Le Bitcoin va nous sauver, disent les Vénézuéliens pour éviter l’hyperinflation, les Nigérians qui sortent ainsi du Naira, les Coréens du Sud qui rêvent de se protéger de Kim Jong-un, sans oublier les émigrés africains qui envoient de l’argent chez eux en quelques secondes, sans les frais confiscatoires des passeurs et autres transporteurs de fonds ! Pour eux, le Bitcoin, c’est un bastion ! Secret, compliqué, moderne certes, il les protège de l’inflation, de l’Etat, de l’effondrement du monde où ils vivent. Mieux même, il pourra bientôt tous nous sauver à partir du 18 décembre, jour où il sera coté au Mercantile Exchange et au CBOE à Chicago ! Il fera alors son entrée dans un marché réglementé qui va le « pacifier », avec des coupe-circuits s’il baisse trop vite de 7, 13 ou 20%. Et ceci en attendant que le Nasdaq lui ouvre ses portes !
Le Bitcoin est un enfant. Né en août 2008 de père(s) inconnu(s), nommé Satoshi Nakamoto, mathématicien(s) et informaticien(s) génial(aux), son acte de naissance comporte neuf pages, formules comprises : le Bitcoin White Paper. Au début, il ne pesait rien : 0,01 dollar. Mais il passe aujourd’hui à 16 000 dollars : quelle croissance ! On imagine que sa courte vie a été magique et sulfureuse. Magique, car il séduit à la fois chercheurs, informaticiens et philosophes, par son côté libertarien, puis les spéculateurs, par son « obscure clarté ». Vie sulfureuse, car on parle à son sujet de vols et de hackings, de commerces d’armes et de drogues, plus un ou deux meurtres (aujourd’hui oubliés). Mais il n’est pas impossible que l’or, le Franc ou le Dollar aient, pour leur part, plus de morts sur la conscience ! Surtout, on ne le connaît pas bien encore, ce Bitcoin, alors qu’on va le mondialiser, si jeune !
« Ce n’est pas une monnaie », déclare Benoît Cœuré, ponte de la Banque centrale européenne, dans une interview le 21 novembre à Handelsblatt : « C’est un instrument financier… qui crée des risques majeurs pour les investisseurs car sa valeur est très instable, sans parler des questions d’évasion fiscale et d’activités criminelles. Ce n’est pas une matière de politique monétaire. D’un autre côté, de nouvelles technologies se développent avec la Blockchain… qui pourront un jour avoir besoin de monnaies digitales ». De fait ce n’est pas une monnaie, car elle s’échange d’une personne à une autre (peer to peer), et ainsi hors des états, des règles et des lois. Sauf qu’elle n’est pas bête, avec ses « nouvelles technologies ». Sauf que le Bitcoin peut aujourd’hui acheter des choses, et des produits financiers. Il sort du circuit des « Bitcoineurs » pour entrer dans celui des « Coineurs », autrement dit dans le monde entier, avec un taux de change, même s’il est encore agité. « C’est dangereux pour le système financier sans l’appui d’une banque centrale », dit Randal Quarles, nouveau Vice-Président de la Fed en charge du système financier. Il va regarder ce qui se passe à Chicago !
Il devrait être « hors la loi », ajoute Joseph Stiglitz, « pour ne remplir aucune utilité sociale ». C’est un « actif sans valeur intrinsèque » ajoute l’autre Nobel Jean Tirole. « Son prix pourrait tomber à zéro si la confiance dans le système venait à disparaître ». La démesure du phénomène se retrouve selon lui dans l’explosion des levées de fonds en cryptomonnaies (ICO : Initial Coin Offering). Elles ont dépassé 3 milliards de dollars « sans intermédiaires fiables et bien capitalisés pour suivre les projets », avec des chutes retentissantes, déjà !
Mais ce Bitcoin repose aussi sur la confiance, dans un monde qui en manque ! S’il monte, c’est qu’il est épargné. Et si Jean Tirole reconnaît que « certaines bulles », comme l’or selon lui, n’ont jamais explosé, il nous dit qu’il ne ferait pas le pari du Bitcoin, avec ses « économies ». Lui non, mais pas les demandeurs de Bitcoins, plus nombreux pour cause de mondialisation. Et pour se protéger.
Petro : et voilà que le Président vénézuélien veut créer sa cryptomonnaie, gagée sur les réserves de pétrole ! La monnaie est toujours affaire de confiance, pour les banques centrales, les geeks, la bourse de Chicago, ou les chavistes. On a le choix de l’embarras.