Ce serait ridicule, si ce n’était tragique. Voilà dix ans que la Great Recession américaine est officiellement finie : décembre 2007 - juin 2009. Nous avons vécu une crise très sévère, financière (la pire espèce) et mondiale (par contagion). Pourtant, plus le temps passe, plus le diagnostic de ce qui nous est arrivé se complique, et qu’on parle de séquelles.
Dans la plongée de la crise, nous avons payé l’excès de crédit immobilier et les subprimes, notamment américains. Nous avons pâti des fragilités de la construction, plus politique qu’économique, de la zone euro. Et le tout s’est passé au milieu d’une révolution technologique de l’information-communication : elle a partout bouleversé les rapports de forces ainsi que les filières de production et distribution. Plus grave, la remontée en « bonne santé » s’avère plus lente et complexe que prévu. Les docteurs sont toujours optimistes ! Les robotisations et désintermédiations suppriment les emplois routinisables, menacent les autres, inquiètent tout le monde. Un chômage durable s’installe avec une très faible progression des salaires chez beaucoup de patients, France par exemple, ce qui prolonge la convalescence et préoccupe. Plus étrange aux États-Unis, sortis les premiers de crise et en plein emploi avec un taux de chômage de 3,9%, les salaires augmentent de 2,9%… comme l’inflation. Un plein emploi sans vraie hausse du salaire réel ! L’économie américaine mobiliserait d’anciens salariés, moins formés et moins productifs, donc peu payés. Ceci pèserait sur tous, mais jusqu’à quand ?
Au fond, les guéris ne sont pas plus riches, même s’ils sont guéris depuis longtemps, et les convalescents ne sentent aucune amélioration, même s’ils le sont depuis longtemps ! Tout le monde s’énerve dans l’hôpital, sans compter que la Russie, le Brésil et surtout la Turquie viennent sonner aux urgences.
Comment donc sortir de cette crise, et de l’hôpital ? En acceptant le diagnostic et en suivant le traitement, sans se laisser distraire (au hasard) par les « affaires de l’Elysée », le feuilleton de notre été. C’est vrai : c’est plus compliqué d’affronter la réalité, et les efforts qu’elle implique, que de commenter les dépositions des responsables politiques et policiers devant les députés, pâles copies des hearings au Congrès américain !
Accepter le diagnostic, c’est se dire que la crise mondiale ne nous a pas tués, c’est heureux, mais nous ne sommes pas guéris pour autant. Guéris de quoi ? De la course à la croissance et à la richesse, qui pousse toujours les États-Unis, et nous derrière ? Guéris de la nécessité d’être les leaders du monde, qui obsède encore et toujours les États-Unis, cette fois après la Chine, ayant disloqué l’URSS ? Guéris de la montée des dettes publiques et privées, pour forcer la croissance chez soi, au détriment des autres dans des crises locales pouvant devenir globales, en oubliant le réchauffement planétaire et les migrations ? Non : nous ne sommes guéris de rien de tout cela.
Pire, au lieu de chercher à se renforcer ensemble pour sortir de crise dans une logique coopérative, nous défaisons les accords et pansements anciens, qui avaient fait la croissance d’après-guerre. La course aux armements reprend, vers 1 800 milliards de dollars. Les États-Unis sont en tête, avec 610 milliards en 2017, avant de dépenser plus avec Donald Trump, pour l’espace désormais. La Chine suit, à 228 milliards de dollars. Puis viennent, loin derrière, l’Arabie Saoudite (69 milliards), la Russie (66), l’Inde (64 – en fort rattrapage, Chine oblige), la France (57), le Royaume-Uni (47) et l’Allemagne (44). Comme nous voulons tant la paix, nous préparons tous la guerre !
En plus des dopants guerriers, les calmants du crédit sont partout : contradictoire médecine ! Les banques centrales maintiennent les taux au plus bas, poussant à s’endetter. Les Etats-Unis, pourtant « guéris », font remonter leur dette publique vers une fois le PIB et leur dette privée vers deux fois. La France à une dette publique égale à son PIB et privée à 2,3 PIB.
Pas surprenant que cette sortie de crise soit si compliquée. Le diagnostic n’est pas accepté, ni le traitement suivi : celui d’une économie privée plus efficace et formatrice. Au contraire, il ne s’agit pas d’aller mieux, mais de gagner en freinant la guérison des autres ! L’association hôpital + arsenal + course est une première. Pas surprenant qu’on parle tant de séquelles : au moins 10% de PIB perdus chez tous !