Branle-bas de combat, le SMIC français est attaqué par le Medef, Pierre Gattaz en tête ! La blogosphère s’indigne. Et pourtant quand on n’a plus de monnaie nationale, on ne peut la dévaluer. Et quand pendant des années on perd en compétitivité et en parts de marché, creuse son déficit extérieur et augmente son déficit budgétaire, il faut procéder un jour à une correction massive. C’est maintenant et c’est la « dévaluation structurelle ». Elle concerne le « coût France » dans son ensemble et ouvre aujourd’hui le chapitre SMIC. Symboliquement, politiquement et économiquement, il est décisif pour la suite.
Le SMIC est le prix administré du salaire pour une qualification faible. C’est celui du travail non directement exporté, celui des coûts et des organisations internes. Il participe ainsi à la base du « coût France », de ses services privés d’abord et, par transition, à l’ensemble des coûts publics puisque le salaire minimum de la fonction publique suit, en plus élevé, le SMIC privé. On connaît l’histoire du SMIC français, si politique, si généreuse.
Le SMIC est le fils du SMIG, Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti. Il naît avec « les événements de mai 68 » et augmente alors d’un tiers et s’homogénéise par régions, gommant les écarts locaux de coût de la vie. Le SMAG, Salaire Minimum Agricole Garanti, augmente de moitié et le rejoint.
Vient la France généreuse, celle du SMIC (1970), Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance. Il veut aller plus vite que la hausse des prix et faire avancer le pouvoir d’achat. Cette générosité a un fond économique : les « coups de pouce » doivent inciter les entreprises à faire des efforts de formation et de qualification pour permettre aux salariés d’avoir une productivité égale à ce SMIC qui augmente régulièrement.
Puis le SMIC redevient (très) politique avec les 35 heures. Il augmente de plus de 8 %, contrainte du volume d’heures en sus.
Or il se trouve que l’économie a ses lois et que la productivité ne parvient pas à suivre tous ces chocs. De plus en plus de salariés se « retrouvent au SMIC ». La Smicardisation de l’économie française marque ses difficultés à s’adapter à la hausse forcée de son salaire de base au-delà des gains de productivité. Elle perd pied et s’endette. Mais la France ne vit pas ceci comme un défi impossible à relever et qu’il faut arrêter. Elle le vit comme un déclin et, pour certains de ses membres, un déclassement.
Le « déclin français » de la compétitivité n’est pas une malédiction, c’est se donner trop de contraintes pour pouvoir gagner. L’Allemagne a constamment aligné ses salaires sur sa productivité : on voit le résultat.
Le « déclassement social », c’est stigmatiser certains salariés parce qu’eux-mêmes ou leurs entreprises ne peuvent réaliser les gains de productivité nécessaires pour maintenir l’écart entre leur salaire antérieur et la hausse imposée par le SMIC. Le déclassement, c’est faire que le salarié médian voit se rapprocher de lui les salariés au SMIC et s’éloigner les plus hauts salaires.
C’est ainsi qu’on crée des tensions sociales et des blocages, en voulant pousser au progrès ou à l’égalité indépendamment de ce qui est possible, dans notre contexte concurrentiel mondial et européen et contre ce qui est nécessaire, dans une vie d’émulation où il faut offrir des perspectives à chacun.
Nous voilà avec un SMIC à 9,5 euros de l’heure et à 1445 euros pour 152 heures de travail. Il concerne directement 12 % des salariés (dont 29 % à temps partiel) et indirectement près d’un tiers, par effet de diffusion. Nous voilà avec un taux de chômage à 10 % et 24 % chez les jeunes. Et pourtant le SMIC bénéficie de ce qu’on appelle des « allègements de charges », autrement dit les charges salariales et sociales des Smicards sont payées par les autres. Que serait-ce autrement !
Tout a été fait sans trop le dire pour réduire le SMIC total, SMIC net et charges, après l’avoir fait trop augmenter. Désormais il ne va pas plus augmenter que l’inflation et de nouveaux allègements de charges sont impossibles. Ce marqueur de l’ensemble des salaires et des prix doit se stabiliser sur longue période, sinon baisser pour les nouveaux entrants. On reparle de « SMIC jeunes » ou de « SMIC transitoire ».
Il faudra trouver mieux, mais le message est envoyé. Il implique, à la différence du modèle allemand, des engagements de formation et un effort particulier pour faire baisser le prix du logement qui représente le tiers de la dépense du Smicard – et qui l’asphyxie.
La dévaluation structurelle en France n’est pas finie, comme on le voit avec le nombre de régions. Avec le SMIC, elle vient de toucher un tabou, même si le Premier ministre a dit qu’il n’en était pas question. Mais il faudra bien traiter ce problème du chômage des non ou peu qualifiés. Il s’agit d’empêcher une explosion ou une cassure sociale en montrant l’objectif : l’emploi des jeunes. Formation, retour en emploi, contrat d’insertion : c’est maintenant qu’il faut avancer et expliquer, avec courage. Et donc changer.