Pas assez d’instituteurs et d’enseignants en mathématiques ici, pour lutter contre la dramatique baisse du niveau en orthographe et en calcul là. Moins encore de formateurs, face à la révolution technologique qui pénètre partout, sans oublier les tensions qui se répandent dans et depuis les « quartiers sensibles ». Pas assez de policiers et de commissariats, face à la montée de la violence et à l’expansion de la drogue. Pas assez de places en prison pour punir ces délinquants, pas assez inquiétés par une justice lente et laxiste, faute de magistrats et de cellules. Pas assez de médecins non plus, de lits d’hôpitaux et de personnel soignant, dans notre société vieillissante. Ceci sans oublier les pollutions et les dérèglements climatiques, les sécheresses et les crues, avec toutes les dépenses que cela implique…
Donc il faudra plus d’enseignants dans des classes moins nombreuses, plus de policiers et plus encore de formation au « vivre ensemble » et à l’empathie… « En même temps », si l’on peut dire, pour soutenir l’activité et l’emploi, il faut une demande plus soutenue, avec donc des salaires augmentés. Plus, plus, plus. Mais il faut aussi moins d’impôts et de règles, pour investir et exporter davantage !
Les revendications viennent de partout, en sens opposé, alors que le climat géopolitique mondial de montée des peurs n’aide pas. La source de cette liste est la triple révolution en cours : écologique, sociétale et technologique. Révolution écologique d’abord, quand il s’agit de changer d’alimentation pour mieux vivre, de travailler plus chez soi dans des maisons calfeutrées, de revoir nos dépenses et nos mobilités, bref de changer de mode de vie. Révolution sociétale ensuite, pour nous faire comprendre et accepter cette économie de l’information qui demande plus qu’un ascenseur social trop exigu : un élévateur. Donc il s’agit de lutter contre l’inégalité des perspectives, entre sexes et pays, contre les comportements asociaux, pour gagner une plus forte cohésion sociale.
Révolution technologique enfin, car la destruction de ce qui a été, et forme notre mode de vie actuel, va plus vite que l’adoption de ce qui sera, même s’il est censé résoudre nos problèmes. Nous le craignons faute de le dessiner. Les montées des violences sociales traduisent notre incapacité à décrire un futur suffisamment commun pour nous mobiliser.
Ici, nous sommes donc retournés en classe. Standard & Poors nous donne une note (rating) chaque semestre. Cette agence vient juste de maintenir notre AA, ce qui n’est pas si mal, mais avec une orientation négative, annonciatrice peut-être d’une vraie dégradation dans six mois, faute de progrès en matière de croissance et de maîtrise des dépenses publiques. Pas facile à faire, pour un pays qui vient d’enregistrer un (premier ?) trimestre de croissance négatif.
Comme si ceci ne suffisait pas, voici que « Bruxelles » décide d’un « examen approfondi » de la copie française. Nous ne serons pas seuls, mais accompagnés de la Belgique, de la Finlande et de la Croatie. Soumis à une inspection moins précise, on retrouvera l’Italie bien sûr, mais aussi l’Allemagne, les Pays-Bas, et même le Luxembourg !
La salle d’attente se remplit donc, comme la salle des urgences. Mais comment soigner tous ces « bobos », grands et petits et surtout pour tant de patients qui ne se plaignent pas tous ? Faut-il renchérir les doses de dettes, les limiter, mettre tout ce monde au régime, faire les deux ? Est-ce une épidémie ou un virus européen ?
Surtout, tout ceci aura-t-il un effet curatif, pédagogique, punitif ou addictif ? Soigner le bobo renforce-t-il ou fait-il naître le besoin de soigner plus, encore, ou ailleurs ? L’État-protecteur, ou pire « l’État-mère », est-il devenu le signe de civilisations inquiètes, en crise ou décadentes comme on nous le dit à Moscou, Pékin ou Téhéran ? Un jugement qui alimente leurs attaques. En Europe, le déficit budgétaire a sans doute oublié le prix de la guerre.
« Le déclin du courage est peut-être le trait le plus saillant de l’Occident pour l’observateur extérieur » disait, dans une conférence à Harvard en juin 1978, un certain Soljenitsyne. Il devait s’y connaître, en bobos. Se plaindre est une chose, s’endurcir une autre. La Paix n’est pas un « avantage acquis ». Notre mal est ailleurs : trop se regarder pour ne pas regarder les risques du monde, venant de ceux qui veulent nous faire disparaître. En matière de bobo, on peut toujours se plaindre, mais sans oublier qu’on fait envie.