On le dirait. Adidas, dernier d’une longue série, vient d’annoncer un programme de rachat d’actions de 450 millions d’euros, moins de quinze jours après avoir bouclé son précédent (550 millions), plus 585 millions de dividendes. Au total, voilà 1,6 milliards « rendus » aux actionnaires, sachant que le groupe prévoit de distribuer, sous ces deux formes, entre 8 et 9 milliards jusqu’en 2025, sans oublier la moitié du gain né de la vente de Reebok. En bourse, Adidas triple presque en cinq ans !
Que faire alors devant la remontée actuelle des profits ? C’est la question, après les peurs de la pandémie. Le drame sanitaire a suscité des chutes d’activité, notamment dans les services, souvent des licenciements, toujours de fortes modérations des salaires et des investissements. Aujourd’hui, mécaniquement, la reprise fait rebondir les profits, comme un ressort. Les bourses rejoignent leurs sommets, même si les Banques centrales prévoient de se montrer moins généreuses, en haussant leurs taux d’intérêt, puisque l’inflation menace. Dividendes et rachats d’actions sont à la fête !
Augmenter les dividendes, pour que l’actionnaire « se sente » plus riche ? « Se sente » : c’est le mot, pas la réalité. En effet, le dividende est, comme son nom l’indique, obtenu en divisant le profit net d’impôt par le nombre d’actions. Il se soustrait ensuite à la trésorerie de l’entreprise pour être viré sur votre compte. Virement, pas enrichissement, comme quand vous sortez 100 euros de votre compte, en allant au Distributeur Automatique de Billets. Mais la bourse ne raisonne pas ainsi. Si l’entreprise a distribué 100, c’est qu’elle vous dit : « cher actionnaire, l’an prochain vous aurez au moins 100 ». Le dividende appauvrit l’entreprise le jour où il est payé, mais il annonce, sauf catastrophe, celui de demain, donc le profit prévu !
Racheter ses actions, pour que l’actionnaire « se sente » encore plus riche ? C’est ce qui se passe, au détriment du long terme. Larry Finck, CEO de Black Rock, met en garde les patrons d’entreprises contre le fait d’« offrir une rentabilité immédiate aux actionnaires, comme avec les rachats d’actions… tout en sous-investissant en innovation, travail qualifié et dépenses nécessaires ». Grand ou petit, l’actionnaire est pourtant un capitaliste. Il devrait se dire que, si l’entreprise puise ainsi dans sa trésorerie pour distribuer des dividendes ou racheter ses titres, elle diminue ses fonds propres, donc d’autant ses capacités de croissance, d’investissement ou d’achat de concurrents. Rien ne se perd avec les dividendes, mais rien ne se crée !
Les hausses des prix de l’énergie montrent les effets problématiques de ce type de choix. Quand la pandémie frappe, les baisses de la demande et des prix font beaucoup souffrir ce secteur. Elles affaiblissent les majors et font périr nombre de jeunes pousses aux États-Unis, dans le gaz et le pétrole de schiste. L’emploi et l’investissement y baissent, avec les prix du baril. Aujourd’hui, avec le rebond de l’activité, ils remontent et les « experts » demandent d’investir plus, pour produire plus et gagner plus. Mais la réaction des pétroliers et des gaziers est de de se refaire, de gagner plus et de distribuer des dividendes pour faire remonter le titre en bourse, avant d’investir plus pour produire plus. On verra plus tard !
En France et ailleurs, avec les calculs d’OXFAM, les dividendes ont mauvaise presse, non parce qu’ils pèsent sur l’investissement, la croissance et l’emploi, mais parce qu’ils augmentent les inégalités ! France Stratégie, dans une note, ajoute son grain de sel en montrant que la baisse de la taxation plus favorable des dividendes n’a pas poussé à prendre plus de risques. Un cadeau, avant l’ISF vengeur ? Puis viennent les demandes d’augmentations de salaires, avec la reprise et la pénurie d’emplois. Menacés, les dividendes ?
Bitcoin et start-ups : les actionnaires ont répondu, en allant ailleurs. Dividendes et rachats d’actions : preuve du manque d’idées des entreprises ou de la crédulité des actionnaires, en tout cas c’est une bénédiction pour les cryptomonnaies et les start-up. Les actionnaires veulent que leurs nouveaux investissements augmentent beaucoup, même avec beaucoup de risques.
Alors, chers actionnaires, vous aimez les dividendes et les rachats d’actions… pour changer d’air ? Vous en avez assez des bons du trésor France à 0,2%, voire des actions à 6%. D’accord, mais attention !