Académie française : une séance secrète du Dictionnaire !

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 Académie française : une séance secrète du Dictionnaire !

Un brouhaha inhabituel. Des jurons (d’Académicien) volent : « Conservateur », « Moderne » ! Nous sommes Quai de Conti, dans la belle salle où les Immortels œuvrent à la neuvième édition de leur Dictionnaire. Le temps aurait-il donc bien (ou mal) passé depuis 1694, année de l’offrande au roi de la première édition ?

1er Immortel : Chères Consœurs, chers Confrères, il me vient à l’idée de revoir certaines de nos définitions, au vu du tour que prennent les affaires de ce monde.

2ème Immortel : Nous sommes tout ouïe.

Le1er : Voilà, je songe à exonérer, au sens de décharger. Nombre de nos concitoyens veulent être exonérés d’impôts ou de diverses charges sociales, au prétexte qu’ils les handicapent dans leur vie quotidienne ou dans leurs projets.

Le 2ème : J’entends leurs plaintes, et alors ?

Le 1er : Et alors, cet inculte Bercy accepte ! Mais cela est impossible : quelqu’un d’autre, maintenant ou plus tard, devra s’acquitter de cette charge, onus en latin, comme nous le savons tous ici ! Donc il faut rayer ce mot de notre langue !

Le 2ème : Et le remplacer par…

Le 1er : Transonérer : un mot à créer !

Le 2ème : Pourquoi pas transvaser ! Avez-vous, cher Confrère, une autre idée pareille ?

Le 1er : Je perçois votre acerbe critique, mais je poursuis avec subvention. Allons ! Nous n’en sommes plus à subvenir, à porter secours ! La subvention est devenue permanente ici, une seconde nature pour certains, sinon la première ! Donc, il faut rayer ce mot de notre langue !

Le 2ème : Et le remplacer par…

Le 1er : Entretenir.

Le 2ème : Mais on entretient une maîtresse, on ne la subventionne pas !

Un 3ème, qui se joint au débat : Oui, surtout on en peut changer ! Ce n’est pas comme avec la SNCF !

Un 4ème : Quoi d’autre ?

Le  1er, inarrêtable : « Quoiqu’il en coûte » : ce il est très imprécis. Qui est-il, paiera-t-il les coûts ? Alors même que c’est toujours la conséquence du choix de quelqu’un. Ce n’est pas du tout le hasard qui est à l’œuvre, comme celui que l’on trouve dans quoiqu’il advienne !

Le 4ème, qui se prend  au jeu : Donc il faut rayer cette expression de notre langue ! Et la remplacer par…

Le 1er : Par : « quoi qu’il m’en coûte » ou « qu’il vous en coûte » !

Le  5ème : Mais, comme il s’agit du futur et que le futur n’appartient à personne, il faudra dire : « quoi qu’il vous en coûtera » !

Tous : Voilà qui va beaucoup plaire à l’Elysée !

Le  2ème : Et aux gazettes !

Le 3ème : Pensez-vous, surtout, que notre Protecteur en prendra ombrage ?

Le  1er : Pas le moins du monde. Tout le monde aura bien compris notre rôle clarificateur et le Président arrêtera d’utiliser le mot.

Le  2ème : Le mot oui, mais la chose ?

Le  1er : Si le mot n’est plus là, la chose devrait disparaître !

Le  3ème : Oui : « au début était le verbe »… Continuons !

Le  1er : Aide, soutien, déficit public…

Le  2ème : Aide : voir poison, soutien : voir abusif, déficit : voir faiblesse, déficience. J’adore ! Notre édition va s’arracher.

Le  1er : Je suis ravi que cette orientation vous enchante. Mais prenez garde : « notre édition ne va pas s’arracher ». Les tomes en seront promptement vendus.

Le  3ème : Vous avez raison : la passion m’emporte. Continuez donc, je vous prie.

Le  1er : Dette soutenable.

Le  3ème : Par quels souteneurs ? Je crains qu’il ne s’agisse de nous !

Le  1er : Oui : nous voilà tous en entremetteurs inconscients !

Le  3ème : Jusqu’à ce que nous l’ayons avoué ! Cette fois, craignons l’ire de Bercy !

Le  1er : Pire : actif sans risque est encore tenu pour synonyme de bon du trésor. Il attire alors notre épargne apeurée. Je propose d’ajouter : sans risque, expression hyperbolique car sa réalité dépend de la quantité de bons émis pour financer le déficit.

Le  3ème : Trop de bons, c’est mauvais ! Voilà qui est plus clair.

Le  1er : Plus clair, mais potache. Et qui va détériorer davantage nos relations avec Bercy qui, malgré tout, nous aide (voir poison !) et nous soutient (abusivement ?). Et, horreur, nous percevons des particuliers des dons et legs grâce à des avantages fiscaux, autrement dit des exonérations ! Attention à ne pas nous affaiblir par excès de vertu. Oui, nous courons vers l’abîme avec certains mots trompeurs, ou plus trompeurs que d’autres, mais nous devons l’exprimer avec mesure, pour nous conserver.

Le  2ème : J’ai trouvé : « je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire » !

Le  1er : Oui, « je fis une tempête au fond de l’encrier ». Suivons donc Victor Hugo, et ajoutons un gilet jaune.

Tous : Ce sera assorti !