Les 9 et 10 décembre, le Président Biden organise un colloque (virtuel) des leaders publics et privés de 100 pays du monde. Il s’agira, selon le préprogramme, « d’étudier les défis et les menaces auxquels doit faire face la démocratie, et les opportunités qu’elle offre ». Après ces deux journées, pleines d’informations peut-être, et sans doute de bons sentiments, les leaders s’engageraient, annonçant réformes et initiatives pour défendre la démocratie et les droits de l’homme, chez eux et en dehors. Le préprogramme ajoute qu’il s’agira ainsi de se défendre contre l’autoritarisme, de combattre la corruption et de promouvoir « le respect des droits de l’homme ». « Vaste programme ! », aurait dit le général.
A priori, on pourrait se dire que cette initiative du Président Biden vise Trump et la Chine. Malheureusement, la situation est moins simple et la réalité plus menaçante. Certes, Trump ne disparaît pas de la scène américaine : il veut bloquer les lois et les programmes lancés par son successeur, entend reprendre le Congrès en 2022 et rêve de redevenir Président en 2024. Mais, dans le monde dit libre, on voit des démocraties faiblir, dont les États-Unis, leur ancien étendard et d’autres glisser vers l’autoritarisme, comme l’Inde, le Brésil, la Hongrie, la Pologne ou la Slovénie. Et où va « le printemps arabe » ? Quant à la Chine, la situation ne cesse de s’y aggraver, comme en Turquie ou en Biélorussie, sans parler de l’Afghanistan.
Aujourd’hui, 70% de la population mondiale vit dans des pays qui ne sont pas des démocraties, ou bien où elle régresse, contre 9% seulement qui vit dans des démocraties de « hautes performances ». Ces chiffres viennent de l’étude « The Global State of Democracy 2021 », publiée le 22 novembre 2021, juste avant, bien sûr, la réunion Biden ! Elle montre que le point haut de la démocratisation mondiale a été 1990-1992, juste après la chute du mur de Berlin, le 10 novembre 1989. Depuis c’est l’érosion, violente avec de multiples coups d’état, ou graduelle, comme aux États-Unis, avec les lois qui limitent les droits de vote dans certains états.
Le monde devient plus autoritaire. Fini d’abord le temps bipolaire d’après-guerre, Est-Ouest. Les États-Unis entendaient encercler la Russie soviétique et son empire, puis le fracturer en aidant l’Europe de l’Ouest. Plan Marshall, Union-Européenne, zone euro… nous avons vu le succès de cette manœuvre, qui a ouvert la phase de démocratisation mondiale : un monde unipolaire ! Mais fini aussi, désormais, ce temps où l’on pensait, après l’effondrement de l’URSS, que la combinaison entre démocratie et capitalisme était la seule bonne. Elle allait s’étendre, même en Chine. Il suffisait d’encourager l’initiative dans les entreprises, la liberté du consommateur et d’organiser des élections. Les États-Unis, arrivant en Irak, parlaient de « Nation building ». La France rêvait d’élections, après avoir participé à l’opération de l’ONU contre Kadhafi, en mars 2011. Souhaitons que les premières élections s’y passent bien… en décembre 2021 !
La pandémie a accéléré cette détérioration, avec ses peurs, chutes d’activité et confinements. Elle a mis un coup d’arrêt à l’extension et à la complexification des chaînes de production qui créaient des « solidarités de fait », comme aurait dit Robert Schumann. Plus nettement encore, le COVID-19 a creusé les inégalités : entre ceux qui ont les vaccins et les autres, entre ceux qui ont pu s’endetter pour amortir la chute et les autres, entre ceux qui ont les moyens de financer et d’innover pour repartir dans cette révolution industrielle, et les autres. Les mouvements migratoires en sont la triste illustration.
La démocratie, avec l’économie de marché, vont-elles faire remonter la pente, en allant vers plus de liberté ? C’est toujours la question, avec le risque de les dissocier : une certaine liberté pour les affaires, pas trop besoin pour les personnes. Nous avons rêvé avec Fukuyama à leur victoire définitive et conjointe : la « fin de l’histoire », son livre de1989, toujours cette année ! Mais Huntington nous parle, en 1996, des conflits irréductibles entre huit civilisations (occidentale, slave-orthodoxe, islamique, africaine, hindoue, confucéenne, japonaise, latino-américaine), contre l’occidentale, sous des influences religieuses. L’Islam surtout ? Ou plutôt une version de cette religion, contre la démocratie ? « L’opium du peuple » a bien changé, c’est donc au peuple de réagir !