Une tactique dangereuse en France : « pour que rien ne change, il faut que rien ne change »

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Pardon d'avoir inversé le célèbre mot du Guépard, le Prince Salina, joué par Burt Lancaster dans le film de Visconti. Burt Lancaster/Salina disait : " Il faut que tout change (que l'Italie s’unisse), pour que rien ne change (que l’aristocratie garde le pouvoir)". François Hollande est en passe de dire qu’il faut, au fond, ne pas faire de grandes réformes pour être sûr que rien ne se bloque ici, tandis que nos voisins font des efforts et vont mieux – tout ceci pour en profiter... nous. Mais c’est là un pari économiquement et socialement très risqué, dans un monde où « tout change » et où ceux qui font des efforts veulent (légitimement) en bénéficier !

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Nos politiques comprennent-ils ce qu’exige cette sortie de crise ? NON. Nous faisons les réformes à feu doux, pour n’ennuyer personne ici. Mais ce slalom entre les « avantages acquis » ne peut, par construction, réussir. Avec une dette publique égale au Pib, nous risquons de voir la hausse des taux d’intérêt (1 %) absorber rapidement le supplément prévu de croissance (1 %). Si nous ne faisons pas une vraie baisse de la dépense publique, nous nous mettons en danger. Pendant ce temps en effet, les pays qui ont fait les réformes (et durement, notamment par la baisse des salaires comme l’Espagne) se sortent d’affaire avec une compétitivité retrouvée, une diminution de leur dépense publique et un désendettement public. Ici, avec notre reprise lente, nous parions sur le fait que les taux longs monteront peu, de façon à nous laisser l’espace d’avancées modestes, tandis que nous serons portés par les efforts des voisins. Eux, nous supposons qu’ils importeront plus de nos produits, grâce à notre image, à l’inventivité de nos ingénieurs, au courage de nos salariés, à l’épargne des Français et à nos patrons bien sûr.

La tactique française de réformes graduées, ne parlons pas de stratégie, est dangereuse. Nous avons très bien vendu nos idées, il faut passer à l’acte. Les prévisions de croissance qui sont faites partout, par l’OCDE il y a quelques jours, ou encore les diagnostics du FMI il y a quelques semaines, supposent toujours que nous allons poursuivre les réformes de structure. Ainsi les analystes du FMI, dans leur publication du 5 août, « se félicitent des efforts en cours visant à simplifier le cadre réglementaire et à améliorer les dispositifs de formation professionnelle, et ils engagent instamment les autorités à réformer le système des retraites en faisant en sorte d’accroître le taux d’activité plutôt que les taux de cotisation. Les administrateurs (du FMI) préconisent des réformes plus poussées du marché du travail pour accroître l’emploi des jeunes et des travailleurs peu qualifiés ». Et si ces « administrateurs du FMI »  revenaient aujourd’hui ?

Les marchés financiers regardent vers la Syrie et les USA, pour combien de temps ? Ils évaluent le risque France à 0,6 % au-dessus du risque Allemagne : Angela Merkel emprunte à 2 % à 10 ans (1,95 % le six septembre 2013) et François Hollande à 2,54 % à la même date. L’écart augmente entre eux, très doucement. Mais l’Italie et l’Espagne empruntent désormais à 4,5 %, contre plus de 6 % l’an dernier à la même époque. Autrement dit le Sud a fait des efforts et c’est reconnu, l’Allemagne est toujours jugée sérieuse, mais nous n’avons pas réussi à donner la même image. Encore quelques mois et le risque peut monter de marchés qui arbitrent plus nettement en faveur d’une Espagne ou d’une Italie qui font des réformes par rapport à une France qui ménage les susceptibilités de tous, susceptibilités internes bien sûr.

La fiscalité réunit ces contradictions françaises mais elle ne peut plus jouer les prolongations. Si nous voulons baisser les impôts sur les sociétés, il faudra faire des économies ailleurs – dans la dépense publique. Si nous voulons consolider le système de retraites, il faudra allonger le temps de cotisation et non pas « acheter » une réforme à 20 ans par un « compte pénibilité » payé tout de suite. La tactique est un art dangereux quand il s’agit de profiter des réformes des autres et retrouver ainsi quelque compétitivité, surtout quand elle s’éloigne des choix stratégiques, des promesses faites et du simple bon sens.