Après avoir financé les Empires ottoman et russe, les Français vont-ils financer l’envol de la Chine avec leur excès d’épargne dû au Covid?

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Les zones où demeure un peu de croissance économique devraient logiquement finir par aspirer une partie des 125 milliards d’épargne de précaution accumulés en France.

Après avoir financé les Empires ottoman et russe, les Français vont-ils financer l’envol de la Chine avec leur excès d’épargne dû au Covid?

 

C’est la question qui monte en France, tant nous avons d’épargne, tant nous ne savons qu’en faire par rapport à ce qui se passe ici, tant la Chine nous paraît attirante.

 

125 milliards au moins : nous avons une surépargne, à la suite du confinement passé et en cours. Le taux d’épargne des ménages en France est monté de 15% du Revenu fin 2109 à 19,1% au premier trimestre 2020 et à 26,7% au deuxième. Il baissera sans doute au troisième et connaîtra un regain au quatrième trimestre, avec le deuxième confinement, mais aucune désépargne : ce qui est gardé est gardé. Le COVID-19 nous a empêchés de consommer, avec les commerces et les bars fermés, les vacances en train ou en avion devenues dangereuses ou impossibles. Les dépenses en services ont chuté, la consommation s’est surtout consacrée à l’alimentaire et à la proximité. Selon le Mensuel du Cercle de l’Epargne, entre mars et mai, l’épargne aurait augmenté entre 78 à 100 milliards d’euros. Les dépôts à vue ont notamment crû de 49 milliards, le livret A de 17 et les livrets bancaires de 12. Les ménages ont mis l’accent sur la liquidité et la sécurité, pas le rendement : cette épargne est d’abord une non-consommation de services (surtout), avant de devenir une précaution durable et de se mettre en quête de placement – pas encore.

 

Evidemment, cette surépargne concerne les revenus les plus élevés : 70% pour 20% des ménages. C’est ce que calcule le Conseil d’Analyse Economique dans sa note d’octobre 2020, pour la période avril-juin. Les ménages aux plus faibles revenus ont fait attention, ajustant leur consommation, d’autant que leurs revenus étaient menacés. Et il ne semble pas que leur consommation ultérieure a rattrapé cette baisse. Mais pour l’essentiel, la politique budgétaire de soutien aux bas salaires a permis d’éviter des drames sociaux. Toute la question concerne maintenant le deuxième confinement, avec des risques de pertes d’emploi et de fermetures de PME-TPE : comment va évoluer cette épargne ? A la hausse sans doute, sans doute moins fortement.

 

Evidemment, certains « experts » ou « politiques » proposent de taxer cette surépargne des « riches », pour remplir les caisses de l’état et contribuer au soutien des plus faibles ! En fait cette surépargne est mécanique et instable et il est décisif de bien l’orienter, vers l’investissement en France. Cette épargne est une non consommation de services que l’on peut juger « supérieurs » (loisirs, vacances, restaurants, théâtres). Pour soutenir la consommation, il s’agit de continuer à aider les populations les plus précaires (foyers en difficulté, étudiants, TPE) plutôt que taxer les plus riches ! Déjà, cette surépargne des ménages français ne leur rapporte rien, étant pour les trois quarts en compte courant : il serait confiscatoire de la taxer. Pire, ceci irait à l’encontre de la politique fiscale menée depuis des années de baisse des impôts directs et notamment financiers : en 2017, c’est le remplacement de l’ISF par un Impôt sur la Fortune Immobilière et surtout le prélèvement forfaitaire unique à 30% sur les revenus du capital. En 2018 les non-résidents détenaient 42,2% du capital des sociétés françaises du CAC 40 et majoritairement 10 de ses 36 sociétés françaises. Quand on s’inquiète de la présence du capital étranger en France, on oublie qu’il est largement dû à l’exode fiscal lié à l’ISF (il faut se féliciter de sa fin). Il faut donc saluer qu’en 2018 les non-résidents ont acheté pour 5 milliards d’euros d’actions du CAC 40 et les résidents 8,5 milliards.

 

Mais la France adore exporter son épargne, alors même qu’elle s’endette. Comme en leur temps les emprunts russes et ottomans !

Turquie 1854-1875 : elle veut se développer et attirer des capitaux, français, anglais et allemands, dans leur lutte d’influence. La France, très présente en Turquie par ses capitaux et sa langue, est alors le premier financeur du pays (sur quatorze émissions de l’Empire ottoman, dix furent principalement financées sur capitaux français), jusqu’en 1875 où la Sublime Porte annonce qu’elle ne pourra assurer que la moitié des intérêts. Ce fut le début des problèmes.

Russie 1888 : c’est la même histoire. L’Empire russe cherche à rattraper son retard industriel grâce à des programmes infrastructures et n’en a pas les moyens. Alexandre III propose à des pays étrangers d’investir dans son pays, au moment où Allemagne, Autriche-Hongrie et Italie forment une alliance : la Triplice. La France se rapproche alors de la Grande-Bretagne pour former la Triple-Entente, avec l’Empire Russe. Le gouvernement français incite les épargnants à investir en Russie : 1,5 million le font pour 15 milliards de francs or dans les emprunts russes, l’équivalent de 70 milliards d’euros d’aujourd’hui ? Puis vient 1917.

 

Et la Chine paraît si attirante aujourd’hui !

Shanghai 2020 : faut-il investir en Chine le surplus d’épargne né du COVID-19 ? Certes, la Bourse de Shanghai a gagné près de 9% depuis janvier, tandis que celle de Paris en a perdu 17, sachant que l’euro-yuan est resté stable. Certes, le bon du trésor français rapporte -0,4% en termes réels et le chinois 1,5%. Alors ? Faisons nos paquets et prévenons Emmanuel Macron qui a fait vendredi une conférence avec d’importants investisseurs internationaux, sur le thème « Choose France » ! Alors, regardons aussi ce qui vient d’arriver à Jack Ma, stoppé, la veille de la plus importante introduction en bourse du monde : 37 milliards de dollars, entre Shanghai et Hong Kong, sous prétexte qu’elle menacerait le système financier chinois, ou bien parce qu’il aurait osé critiquer les banques chinoises ? Certes, la Chine a rebondi mieux que tous les autres grands pays et avance, mais, sauf erreur, n’a pas de comptes transparents, n’est pas une démocratie, avec une justice indépendante.

Et il n’est pas impossible qu’il y ait ici des start-up, des innovateurs, des jeunes qui veulent avancer et qu’on pourrait financer avec cette surépargne qu’il s’agit de décoincer, pas de taxer, ni de faire fuir. Ce n’est pas de la charité, mais du calcul. Ou alors qu’on ne se plaigne plus de la dette qui monte et du financement futur des retraites ! La Chine c’est sans doute très bien, la tech française, médicale, financière ou verte, ce n’est pas mal non plus.


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