France : pourquoi épargnons-nous autant ?

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Même si nous avons coutume de nous plaindre de la faible progression de notre niveau de vie, il faut reconnaitre que 100 milliards d’euros ont été épargnés en 2024, rejoignant, sinon dépassant, les années antérieures. Quels  événements et achats préparons-nous ? Ou plutôt, que craignons-nous ?

 France : pourquoi épargnons-nous autant ?

17,3% du revenu disponible

Avec ce pourcentage, nous sommes les plus écureuils des grands pays développés ! De fait, difficile de savoir ce qui nous pousse plus, par rapport à nos voisins. On connait les motifs traditionnels, motif de précaution pour faire face aux incertitudes économiques, motif d’investissement pour équiper ou acquérir un logement, motif financier pour constituer une rente en complément de retraite ou pour transmettre aux enfants, mais ils ne suffisent pas à rendre compte de la complexité actuelle, et des chiffres.

 

Inquiétudes conjoncturelles

Après un dernier trimestre 2024 à -0,8% pour le PIB, suivi de chiffres inquiétants sur l’activité et l’emploi, l’inquiétude de récession gagne.  Les politiques ont beau tenter de ne pas noircir le tableau, on ne comprend pas comment la recherche d’un moindre déficit budgétaire n’aura pas d’effet négatif à court terme sur la croissance et l’emploi. De toute manière, les entreprises privées ont déjà pris en compte cet objectif d’économies publiques pour se l’appliquer : les budgets sont partout plus serrés. Elles vont donc épargner et susciter ce même comportement chez leurs salariés. Chacun va revoir et hiérarchiser ses projets :  la dernière enquête sur l’opinion des ménages, publiée en octobre 2024, donc avant la montée actuelle des tensions géopolitiques, mettait en avant la crainte sur l’emploi, d’où résulterait une baisse du niveau de vie. L’épargne obéit alors au motif de précaution, celui de maintenir le standard de vie en baissant, un temps, le taux d’épargne. Cette précaution qui a bien changé : non seulement elle augmente, mais pour des raisons bien plus graves. Les raisons d’épargner vont donc s’ajouter et se combiner.

 

Inquiétudes sur les retraites

Assez étrangement, le lien n’est pas trop fait entre épargne et « crise de notre système de retraite par répartition ». Pourtant, les données du problème sont connues : comme les sommes pour payer les pensions viennent des salariés en emploi, il « faudra » plus d’emploi, d’autant que le nombre de salariés va diminuer pour des raisons démographiques, donc travailler plus d’heures et cotiser plus longtemps pour compenser cette érosion ainsi que l’allongement de la durée de vie des retraités (et de leurs conjointes ou conjoints). Ceci implique des entreprises solides et innovantes face à la concurrence mondiale, donc productivité et compétitivité. Autrement dit, sans l’avouer : rentabilité.

 

Inquiétudes sur le déclin européen

C’est ici que l’on doit parler du Rapport Draghi, qui diplomatiquement appelle à la compétitivité de l’Europe. Diplomatique, ce Rapport l’est de bout en bout, ce qui fait que le Parlement l’adopte sans problème. Plutôt que de parler de gaz et de nucléaire, il note que l’énergie est six fois plus chère pour les industries européennes qu’américaines, ou encore qu’il faut absolument mettre à niveau l’industrie européenne, dont… la défense.

 

Inquiétudes ricardiennes

Évidemment, David Ricardo n’est pas loin, lui que l’on invoque si souvent quand on explique la montée de l’épargne par celle de la dette, les « français rationnels » se disant qu’il faudra bien la payer, et craignant un impôt spécial. De fait, avec plus de 3200 milliards d’euros de dette publique, 110% du PIB, il faut s’attendre à une décennie morose. Faux, répondent les Japonais, avec un ratio dette/PIB de 259% et un taux d’épargne de 3,4% au deuxième trimestre 2024 ; ne pouvant plus être ricardiens, ils ont décidé d’être insolvables. Pas nous.

 

Inquiétudes ukrainiennes

Inquiétudes sur le budget et politiques, sur la prochaine présidentielle, plus inquiétudes des personnes âgées sur leurs placements (livret A, LDD, PEP, souvent au maximum et quasi-inertes) qui ont l’allure d’un emprunt perpétuel… sans parler d’écologie ! En fait, toutes s’ajoutent, sinon se multiplient, au regard de ce qui se passe entre Russie qui attaque et Ukraine qui se défend. En France, tous les messages s’empilent, vrais ou faux : renforcement de l’armée, conscription, doublement du budget militaire, emprunt spécial, libre ou forcé, impôts nouveaux… Les politiques ont beau s’opposer, l’épargne monte parce que la guerre semble s’approcher…