Celui qui peut attendre
Qu’allons-nous faire de tous ces temps, nous qui suivons les mails, mots et phrases de Donald Trump ? Lui qui fait en sorte, par ses décisions et ses volte-face violentes, de guider, en les étourdissant, les marchés. Jusqu’à les fatiguer, eux et nous, au point de ne plus réagir. Bien malin celui qui saura la fin de l’histoire de ces droits de douane sur les produits importés aux Etats-Unis, sur les relations avec la Chine ou sur les conditions du cesser le feu en Ukraine, dans la bande de Gaza, ou sur l’accord avec l’Iran.
L’ « art du deal », version trumpienne, appliqué à la diplomatie a cessé de nous surprendre : celui du grand choc, suivi de surenchère, pour assommer. On attend maintenant la marche arrière, après le premier coup de bluff. Suffira-t-il de compter sur les oppositions politiques et sociales américaines pour freiner, ou plutôt celles venant des grandes entreprises elles-mêmes, inquiètes de leurs cours de bourse ? Car ceci est d’autant plus rapide que Trump a choisi de « jouer » sous le regard de Wall Street, qui fourmille d’astuces, d’effets pervers et de questions qu’il n’avait pas imaginés.
Bluffer n’a de sens que si l’on peut encaisser sa perte, pas si l’on met ses « partenaires et amis » en danger, hors soi-même. Passer les droits chinois à 145% est insupportable pour Apple. C’est jouer une société privée, qui tient par sa notoriété, contre la Banque centrale chinoise qui n’a pas de limite, n’ayant pas d’élection à craindre. C’est jouer l’Ukraine contre Poutine qui n’a pas de limite, avec ses réserves de gaz et de pétrole.
Le temps industriel devient plus long et ramifié
Donald Trump promet de régler les problèmes douaniers américains en quelques jours (pour le monde) et de les réduire avec la Chine, décrétée « principal concurrent ». A l’entendre, il suffit de produire aux États-Unis. Il est peu certain qu’il écoute les appels moraux chinois : « Nous exhortons les Etats-Unis à… faire un grand pas pour corriger leurs erreurs, annuler complètement la mauvaise pratique des droits de douane réciproques et revenir sur le droit chemin du respect mutuel ». Il est moins certain encore qu’il prête attention aux atouts chinois, notamment à leur monopole, patiemment constitué, de terres rares. Il pense que quelques mois suffiront pour construire de grandes usines d’assemblage, pour rapprocher les sous-traitants et surtout faire travailler les salariés locaux avec la productivité… chinoise. Mais elle vient de la logique du système communiste, centenaire, et de sa culture d’obéissance, millénaire. Tout est plus long et compliqué qu’une affaire d’argent.
La Chine est un grand joueur
Elle vient de battre son record d’exportations (+12,4% sur un an en mars), avec une baisse des importations. Bien sûr, tout cela vient du jeu des prévisions pour éviter les hausses trumpiennes. Selon les derniers calculs de l’OMC, les échanges entre Chine et États-Unis pourraient diminuer de 80 %, avec des risques de récession chinoise et de stagflation américaine (inflation plus récession). Les États-Unis épargnent trop peu et consomment trop, la Chine fait l’inverse, ce qui explique les déficits des premiers et les excédents de la seconde. Tout ceci ne se corrige pas en quelques mots et mois, des deux côtés. Le temps industriel est long, il faut des ingénieurs plus que des dollars. Surtout, on ne change pas facilement les stratégies et les habitudes – des deux côtés…
Le temps financier est immédiat
On le sait, autant qu’il est excessif. Mais au moins les marchés mettent le doigt sur ce qui, égoïstement, les inquiète le plus. Ils ajoutent aussi ce qu’ils veulent : si possible revoir les dernières décisions, avec davantage de libertés, en sachant (plus ou moins) qu’elles ne sont pas sans risque.
Le temps politique, pour s’adapter aux autres… temps
Les politiques ne sont pas « maîtres des horloges », mais là pour gérer au mieux les écarts de temporalité entre les différents espaces économiques, et surtout sociaux. La société est toujours tiraillée entre eux, au risque de se défaire. C’est aux politiques de canaliser leurs divergences pour faire que tous les groupes, famille, école, entreprise, ville, nation, groupes de pays, soient aussi synchrones que possible.
Toute démocratie implique des tensions : il faut qu’elles soient gérées d’abord au plus près de chacun. Il nous revient de nous écarter des réseaux « sociaux », si nous voulons être humains.