Le monde est trop endetté. Il ne repartira que s’il l’est moins. Pour cela, on connaît la (douce) proposition de Keynes : l'euthanasie, faire en sorte que le taux d’intérêt réel de la dette baisse, autrement dit que l’inflation monte, sachant que les bons du trésor versés aux rentiers (anglais) sont fixes. Les voilà piégés, appauvris (voire pire). Mais au moins la croissance peut repartir, puisqu’elle a moins de dette à rembourser. Ce qui se passe aujourd’hui est-il une adaptation de la méthode Keynes ?
D’abord, les taux d’intérêt sont désormais mondiaux et les taux américains de la dette publique à 10 ans sont l’étalon du taux d’intérêt à long terme sans risque. Donc, pour diminuer partout la facture de la dette, il faut commencer par baisser les taux américains nominaux puis laisser monter l’inflation aux Etats-Unis. C’est toute l’idée de la politique monétaire d’achat par la Banque centrale (la Fed) de bons du trésor américain. Mais attention quand ceci s’arrête… puisque les taux longs peuvent fortement remonter.
Voilà pourquoi la FED (la banque centrale américaine) surprend il y a dix jours quand elle continue, plus longtemps que prévu, à acheter chaque mois 85 milliards de dollars. L’idée reste la même : tenir aussi longtemps que possible les taux longs américains aussi bas que possible et empêcher la remontée des taux que provoque toujours une reprise. C’est ce qui « tient » la croissance, et la bourse. Ensuite, il faut permettre à l’inflation de remonter peu à peu, autrement dit : il s’agit de baisser le prix réel mondial de la dette.
Pour ne pas faire monter le taux nominal, il faut acheter encore des bons du trésor et envoyer aussi des signaux d’inquiétude sur la reprise. Elle est modeste vous dit la Fed, encore fragile : la preuve, le taux de chômage reste élevé… Il faut alors laisser monter un peu l’inflation, sans le dire. Elle est à 2 %, ce qui est l’objectif affiché de la Fed, mais à 1,7 % en termes structurels, ce qui laisse un peu de place. Et comme les salaires montent à 2 %, l’emploi n’augmente pas très vite. Avec une inflation à 2,3 ou 2,4 %, si les taux longs ne montent pas trop, les taux réels sont à 0,3 % et les salaires réels peuvent fléchir, ce qui permet à l’emploi de remonter. Et voilà ! Si la normalisation des taux se met en place comme le souhaitent les responsables américains, la croissance sera repartie à un niveau supérieur. Car il faut bien l’admettre : la sortie de crise est plus lente, plus compliquée et plus fragile que prévu aux Etats-Unis, et partout. Rien n’est spontané, tout est plus lent et semé de contradictions.
On retrouve cette même méthode en zone euro, où tout est fait pour ralentir les anticipations de reprise et permettre aux taux longs de continuer à baisser dans les pays du sud. Quant au Japon, c’est bien l’idée de faire repartir l’inflation vers 2 % qu’on retrouve, alors que le pays était en déflation. Il y a quelques mois, les taux longs étaient à 0,2 % et l’inflation négative (-0,6 % en moyenne) – donc les taux réels positifs autour de 0,8 %. Nous voilà à 0,7 % d’inflation et 0,7 % de taux longs ! Et le Royaume Uni est à 2,8 % d’inflation pour des taux longs à 2,8 %…
Partout dans le monde, les taux longs réels s’approchent de 0 %. Sans parler d’euthanasie, puisqu’on ne veut tuer personne, il y a bien l’idée de très peu rémunérer en termes réels la dette, de « tenir » les salaires réels aussi longtemps que possible, pour permettre aux profits de monter encore et aux Etats de s’ajuster et de payer leur dette. Et sans parler d’euthanasie, puisqu’on ne peut plus piéger personne dans un monde où les capitaux sont mobiles, il faut parler et séduire. Et sans parler d’euthanasie, puisque les rentiers d’aujourd’hui sont les fonds souverains et les banques centrales des pays émergents, il faut faire de la politique et les convaincre d’un ajustement favorable à tous – auquel ils sont priés de contribuer, ce qui leur sera très favorable, mais plus tard. Pas d’euthanasie donc, mais un doux changement du monde vers les profits des émergents, des Etats-Unis, du Japon, de l’Angleterre, en attendant la zone euro…