Comme on le voit dans ce tableau (établi à partir des données du 23 mars 2015), c’est bien ce qui se passe actuellement avec le quantitative easing de la BCE. Il a fait chuter rapidement les taux d’intérêt obligataires publics de tous les pays de la zone euro ayant accès aux marchés financiers (hors Grèce et Chypre donc). Hors inflation, la France s’endette à 0,33 % à 10 ans et à 0 % jusqu’à 6 ans, en termes nominaux s’entend. L’Allemagne fait mieux encore, elle qui prête à taux nominaux négatifs jusqu’à huit ans. L’écart de taux entre France et Allemagne s’établit ainsi à 20 points de base pour le dix ans, à 33 pour le 20 ans et à 43 pour le 30 ans. Du jamais vu bien sûr. Cette situation de taux négatifs se retrouve plutôt au nord (Pays-Bas, Belgique), les pays du sud ayant des taux positifs, mais très faibles par rapport à ce que nous avons connu en 2012 ! En termes réels, compte tenu des indices négatifs de début d’année, aucun prêt ne se fait à des conditions réelles négatives, ce qui prouve qu’il y a des limites au processus.
Evidemment cette situation est anormale. Elle s’explique par la montagne de liquidités actuellement disponibles par rapport aux emprunts d’état, emprunts dont on pourrait critiquer l’attrition au moment même où on cherche à en réduire le volume ! Evidemment cette situation est dangereuse, et ceci pour deux raisons :
- d’abord parce qu’elle fait disparaitre les prix (autrement dit les taux d’intérêt) des risques publics sans assurer que les états vont profiter de ces conditions extrêmement favorables pour réduire leurs dépenses, faire les réformes, se moderniser,
- ensuite parce qu’elle conduit, comme toujours, les investisseurs à investir dans des actifs de plus en plus risqués. Il s’agit d’abord de prêter plus long à de bonnes signatures (à 30 ans pour l’Allemagne à 0,63 %), puis à des pays plus risqués (de l’Allemagne vers la Finlande, puis de la Finlande vers la Slovaquie), puis vers de l’obligataire privé BBB, puis moins bien noté, sur des périodes de plus en plus longues.
Bien sûr, on pourra dire que faire baisser le coût du financement des états puis des entreprises soutient la croissance. C’est vrai si et seulement si les bonnes décisions sont prises, dans les états puis dans les entreprises, sans oublier qu’un jour viendra où les taux s’ajusteront, quand les politiques monétaires s’ajusteront. Et ce sera d’abord aux Etats-Unis, où la reprise est déjà forte. Le risque est donc de penser d’abord que ces taux sont normaux, puis qu’ils dureront assez pour ne pas en profiter tout de suite pour réformer (ou acheter des concurrents). Après, ce sera violent et trop tard.