Mme Yellen après huit ans de Bernanke àWashington (bientôt), MM. Carney après onze ans de King à Londres, Kuroda à Tokyo après six ans de Shirakawa, et bien sûr Draghi après neufansdeTrichetàFrancfort :qu’est-ceque celachange ?Réponse :plusd’activismepartout, avecplusderisquesassumés,parceque la situation de crise complexe et prolongée que nous vivons l’exige.Mais avec d’importantesdifférences etdes risques énormes....
Continuité en douceur : aux Etats-Unis, Janet Yellen va réduire ses achats de bons du Trésor américain graduellement. Pourquoi réduire ? Parce que les achats ne peuvent
continuer à ce rythme, au risque d’inquiéter et d’affaiblir trop le dollar. Pourquoi graduellement ? Parce que la reprise reste modeste. Le chômage est au-dessus de l’objectif de
6,5 % (avec beaucoup d’Américains qui ne cherchent pas d’emploi) et les taux à 30 ans ont déjà bien monté, précisément avec l’annonce d’une réduction des achats de
bonsduTrésor ! Moralité : il faut bien expliquer la démarche, calmer les taux longs, soutenir la Bourse, avant de songer à monter les taux courts. Autrement,c’est le krach.
Rupture nette au Japon : le changement de politique monétaire a été brutal, avec le changement politique. Il faut frapper les esprits et bousculer les anticipations depuis
la déflation vers l’inflation. Le yen plonge (de 30 % en un an par rapport à l’euro), la masse monétaire double, les taux longs restent à 0,6 % et l’inflation est à 1 %, contre
0,3% en 2011 et 0% en 2012 – en attendant 2% ! La croissance s’est reprise et la Bourse a aimé, au début. Mais il faut que l’investissement reprenne au Japon même pour que
le pari s’engage mieux ! Moralité : il faut expliquer et calmer, là aussi.
Rupture douce en Angleterre : lord King était prudent et voulait toujours plus de fonds propres pour les banques anglaises, énormes par rapport au PIB du pays. Voilà
son successeur qui annonce que les banques sont essentielles à la croissance anglaise et qu’il les soutiendra. A tel point que le chef économiste du « Financial Times », Martin Wolf, lui demande d’être prudent ! Moralité : il lui faudra normaliser, surtout pour l’immobilier, car la croissance est là.
Continuité et rupture en zone euro : Mario Draghi ne cesse de surprendre, avec une baisse des taux en novembre plus une théorie de la « forward guidance » (de
l’annonce de lal ogique suivie par la BCE) en opposition avec la doctrine antérieure de la BCE, où il s’agissait de ne jamais s’avancer d’une séance à l’autre.Celà sans oublier son
intervention de juin 2012 (« whatever it takes ») qui a calmé les marchés qui s’angoissaient devant l’Espagne et l’Italie. Aujourd’hui, avec une croissance faible,un risque de longue
désinflation et de trappe à liquidité, peut-être de déflation, on attend de lui plus encore. Des taux négatifs sur les dépôts ? Ce serait pour faire baisser l’euro…sauf si c’est
la croissancequi est le vrai problème. Alors mieux vaut un financement exceptionnel pour les PME : un LTRO spécial. Et il faut aussi renforcer les banques. Moralité : expliquer la démarche et préparer un outil pour financer la croissance par les PME.
Au fond,cette nouvelle génération de banquiers centraux est celle del a nouvelle étape de la crise que nous vivons. Les pays qui ont commencé des politiques hétérodoxes continuent en s’adaptant : Etats-Unis et Angleterre. Le Japon rattrape le retard et prend des risques. La zone euro joue sa partition, complexe,mais elle a évité le pire. Et l’euro monte puisque les autres jouent la baisse du dollar, de la livre et plus encore du yen, avec des risques importants sur ces devises.
Partout, en même temps, ces banquiers centraux gèrent de plus en plus près leurs systèmes bancaires et financiers : ils ont plus de pouvoir et de responsabilités. Partout ils demandent aux Etats de dépenser moins : ils osent plus. La déflation rôde, la désinflation est omniprésente. Partout il faut des taux réels négatifs, au moins pour lescréditsàcinqans. L’euthanasie des déposants est en cours. La Bourse aime.
Ces nouvelles politiques monétaires ouvrent en fait vers un nouveau monde.Celui où les émergents auront émergé et où les pays industrialisés jouent leur devenir, celui où le financement de l’économie change, avec partout plus de marché, donc de flexibilité.
Nouvelle race de banquiers centraux ? Oui. Nouveaux problèmes ? Plus encore !
Jean-Paul Betbèze
Les Echos