Un regard sur la conjoncture par Jean-Paul Betbeze, Economic Advisor pour Deloitte.
3% aux Etats-Unis, 2% en Italie, 2,5% au Royaume-Uni, 1% en France et 0,7% en Allemagne : cinq taux (arrondis) en hausse de dette publique à 10 ans. Sont-ils compatibles avec la bourse et la croissance ?
Un, une reprise mondiale synchrone, avec un lent réveil de l’inflation mondiale : c’est la raison majeure. Les prévisions officielles montrent en effet que toutes les économies sont orientées vers la reprise, une première depuis dix ans. Dans ce contexte, les tensions sur les prix commencent à se manifester : salaires dans les pays en plein-emploi (Etats-Unis, Allemagne) et matières premières.
Deux, la fébrilité : la hausse des prix, dans un contexte qui reste de faible inflation, n’a pas de raison d’être linéaire. Elle est au contraire sujette à des hausses d’ampleur absolue faible, mais qui ne le sont pas en termes relatifs. Elles produisent alors autant de chocs, non prévisibles, qui agitent les marchés. Le 0,3% d’écart en janvier entre la hausse effective et la hausse prévue du salaire horaire aux Etats-Unis envoie ainsi un choc sur les marchés dont ils peinent à se remettre. En même temps, toutes ces économies en expansion ont des besoins financiers en hausse, ce qui pèse sur les épargnes disponibles. La reprise mondiale exerce ainsi une pression à la hausse sur les salaires et sur l’épargne disponible, les deux phénomènes étant interdépendants. De manière générale, les courbes des taux montent ainsi régulièrement.
Trois, Etats-Unis : croissance, surchauffe, hausse des émissions obligataires, début des ventes d’obligations par la Fed, 3 ou 4 hausses des taux courts. Il faut s’habituer aux nouvelles têtes : Randal Quarles, le numéro deux de la Fed, vient ainsi de confirmer la bonne santé de l’économie américaine (« elle va très bien et, certainement, se trouve dans sa meilleure forme depuis la crise et, sous de nombreux aspects, bien avant la crise elle-même »). Dans ce contexte, elle n’est pas dans une phase de lowflation et les taux d’intérêt monteront donc, graduellement. La question des marchés financiers sera de savoir combien de fois les taux courts vont monter, compte-tenu des risques d’inflation, même retardés, d’autant que la politique fiscale de soutien à l’activité de Donald Trump va entrer en jeu. A priori, 3 hausses.
Quatre, zone euro : reprise là-aussi, plus baisse du QE et effet de ce QE européen sur les taux US eux-mêmes ! Fin du QE en zone euro : on l’attend fin 2018-début 2019, avec des achats de bons du trésor qui seront de plus en plus faibles. L’idée est d’éviter ainsi tout choc d’arrêt, largement psychologique. Il faudra ensuite plus de temps encore pour que les taux de la zone euro remontent, selon la doctrine de Mario Draghi (well past). Mais, en même temps, les remplacements de responsables se mettent en place à la BCE. Le numéro deux s’en va, Vitor Constancio, auquel succède Luis de Guindos, actuel ministre des finances espagnol. Bientôt ce sera l’économiste Peter Praet, et on parle de Philip Lane (Gouverneur de la Banque d’Irlande), en attendant fin septembre 2019 le départ de Mario Draghi lui-même, et la venue annoncée (?) de Jens Weidmann (Allemagne). Les marchés vont se dire que la « doctrine Draghi », celle de l’après-crise, va céder la place à une certaine normalisation des taux. Sans être strictement « allemande », elle poussera néanmoins les taux à la hausse, ce qui poussera en même temps les programmes d’emprunts publics en 2018 et début 2019 à un allongement maximal des durées.
Effet en boucle de la politique de la BCE sur les taux américains. En effet, chaque fois que la BCE (en fait Mario Draghi) fait des annonces sur la réduction du QE de la zone, pourtant modeste, les taux longs américains montent – eux aussi – un peu. La nouveauté supplémentaire sera la montée des émissions publiques (nette des achats de la BCE) de la zone euro : l’Italie est en effet un émetteur important, avant ses élections. Le pays a surtout profité de la situation actuelle de taux bas pour prolonger graduellement la maturité de ses achats vers 7 ans, à un rendement à 2,1%, avec une inflation à 0,9%. Tout ceci protège, mais ne résout pas, le problème de la soutenabilité à terme de sa dette. A ces dettes italiennes vont s’ajouter les programmes d’allongement des autres dettes publiques. Nous sommes devant un effet en boucle Etats-Unis/Zone euro qui va faire monter les taux longs de tous, ce qui pèsera sur les bourses. Tout le problème sera de calmer.
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