Mais pourquoi Christine Lagarde ne dit-elle pas que la BCE est prête à faire tout ce qu’il faudra pour contrer la déflation qui gagne la zone euro via l’Italie plutôt que de se contenter de vouloir "recalibrer" son action?

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Le 26 juillet 2012, en pleine crise de la zone euro, Mario Draghi annonçait que la BCE ferait "tout ce qui était nécessaire" pour sauver la zone euro. Christine Lagarde sera-t-elle en mesure de suivre cette voie ?

Mais pourquoi Christine Lagarde ne dit-elle pas que la BCE est prête à faire tout ce qu’il faudra pour contrer la déflation qui gagne la zone euro via l’Italie plutôt que de se contenter de vouloir

© Brinacor – CC BY-SA 4.0

 

« Recalibrer » : mais pourquoi donc Christine Lagarde ne  dit-elle pas : « tout faire contre la vague de la déflation qui entre en zone euro, en passant par l’Italie » ?

29 octobre : « recalibrer » fut le mot élégant de la dernière réunion du Conseil des Gouverneurs de la Banque Centrale Européenne. Il s’agissait de faire patienter les marchés, en attendant la prochaine réunion de la Banque centrale européenne où des décisions seront prises et où… le Président de la Banque Centrale Allemande pourra voter. Il est clair en effet qu’aucune décision majeure ne peut être prise sans qu’il vote « pour » ou, plus souvent : « non ».

Attendons donc le 3 décembre. Dans cette prochaine réunion, il y aura plus de tout :

  • plus d’achats de bons du trésor, en augmentant de 500 milliards d’euros le programme total d’achat de 1350 milliards au total qui devait cesser en juin 2021 (Pandemic Emergency Purchase Program, PEPP),
  • plus d’achats d’obligations privées d’entreprises (Asset purchase programme, APP), à un rythme mensuel qui pourrait passer de 20 à 40 milliards d’euros,
  • plus de liquidités offertes aux banques, peut-être pour moins cher, sans doute pour plus longtemps (TLTRO III). Il s’agit de permettre aux banques de faire à leur tour plus de crédits, moins chers, à plus long terme. Ce point devient important avec la résurgence du virus, qui fait monter les besoins de financement et les risques.

Mais tout ceci ne va pas suffire pour atteindre 2% d’inflation, tandis que la BCE ne reconnaît pas le risque déflationniste ! Au lieu d’avouer que les prix baissent depuis trois mois, le fait que « l’inflation en rythme annuel dans la zone euro a diminué, à -0,3 % en septembre, contre -0,2  % en août » c’est, selon elle, chaque fois, pour des raisons différentes. Ce sont ainsi les baisses des prix de l’énergie, des biens industriels non énergétiques et des services qui se mettent ensemble de la partie. Ainsi, « sur la base de la dynamique des cours du pétrole et compte tenu de la réduction temporaire de la TVA en Allemagne, l’inflation globale devrait rester négative jusque début 2021 ». Et ce n’est pas fini : « les tensions sur les prix resteront contenues à court terme en raison de l’atonie de la demande, notamment dans les secteurs du tourisme et des services liés aux voyages, ainsi que de la baisse des tensions sur les salaires et de l’appréciation du taux de change de l’euro ». Mais il ne faut pas désespérer : « lorsque les effets de la pandémie s’estomperont, une reprise de la demande, soutenue par une politique monétaire et des politiques budgétaires accommodantes, exercera une pression à la hausse sur l’inflation. » Au fond, c’est parce que l’inflation reviendra que la déflation partira !

Ainsi, rien ne dit comment freiner la mécanique de baisse des prix liée à la baisse de l’activité pour sortir l’Italie surendettée de sa pente déflationniste, accentuée par le COVID-19. Or, l’Italie est le risque majeur de la zone. Les chiffres sont là : voilà des années que la croissance moyenne y est au plus de 0,6%, avec une baisse de la productivité d’ensemble, que les entreprises perdent pied dans la concurrence technologique (en dépit de succès comme Luxottica ou Finmeccanica), avec des PME trop petites, plus le poids du « Sud ».

Même si la BCE est à l’œuvre pour l’Italie, c’est insuffisant. Le rendement nominal de la dette italienne à 10 ans est de 0,7%, l’inflation à -0.6%, donc son taux réel à 1,3%, pour une croissance potentielle à 0,6%, sans compter les dommages du COVID-19. Le poids de la dette ne pourra qu’augmenter, étant déjà à 140% du PIB. La déflation est à l’œuvre et dire que les bons du trésor s’achètent sans problème, c’est oublier qu’ils sont achetés pour moitié par la Banque Centrale et par les banques. En dépit d’années de soutien de la BCE au budget, pour faire baisser le taux de la dette publique, et aux banques, pour permettre leur regroupement en évitant des faillites en chaîne, nous sommes loin de ce qui permettrait au pays de s’en sortir.

Une crise de la dette italienne dépasserait en ampleur celle de la dette espagnole du 16 juillet 2012 : le double. Et la crise de la dette espagnole, qui n’avait pu être stoppée que par le Whatever it takes de Mario Draghi, avait quand même conduit à une récession très importante en Espagne, avec des faillites, des baisses nominales de salaires et de retraites, tout un ajustement très violent qui a fini par être accepté en Espagne, mais qui est difficilement envisageable pour l’Italie.

La déflation se passe dans les têtes, avec le risque des ménages et des entreprises qui pensent qu’avec le virus « demain ce sera moins cher », parce qu’alors ce sera pire. La déflation est une prophétie autoréalisatrice. Car si demain doit être  moins cher, alors on attend, et comme tout le monde attend, demain c’est effectivement moins cher ! Et d’autant plus que la dette monte.

Donc il faut tout faire pour arrêter le risque de déflation en Italie, puis en France et en Allemagne. Ceci veut dire qu’il faut parler du danger qui est devant nous et prendre trois mesures, au moins :

  • voter le plan européen de soutien au Parlement, autrement tout le bénéfice de l’accord de juillet sera perdu,
  • mettre dans un compte à part la hausse des déficits et des dettes née du COVID et la faire financer à long terme par la BCE,
  • faire que la BCE achète de la dette publique à 50 ans des états membres, émise pour elle, afin d’alimenter des fonds souverains nationaux, pour 500 milliards d’euros, soit la moitié du Programme européen. Il s’agit d’intervenir en capital dans les entreprises. Evidemment, ce surplus de dette évitera le pire, mais ni les drames ni les efforts, mais les réduit.

Donc, il faut que Christine Lagarde dise : nous arrêterons la déflation, Whatever it takes !


Atlantico

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