Face au dollar, la monnaie unique est tombée au plus bas niveau depuis avril 2017. L'euro est confronté notamment aux craintes liées à la propagation du coronavirus. Jean-Paul Betbeze revient sur les différentes raisons qui expliquent cette réalité entre l'euro et le dollar.
L’euro est actuellement à 1,08 par rapport au dollar, le plus bas depuis des mois. Où va-t-il s’arrêter dans sa chute depuis 15 mois ? Va-t-il se reprendre ? L’histoire de l’euro est en effet parlante : il monte beaucoup quand le dollar, lui, fait très peur mais baisse beaucoup quand il fait peur et énormément quand il fait très peur. Où en sommes-nous : l’euro fait-il aujourd’hui peur, ou très peur ?
De fait, l’euro a eu beaucoup de hauts et de bas depuis son lancement le 1er janvier 1999 à 1,1789 dollar,au début avec ce plongeon de crédibilité qui a suivi et l’a amené à 0,85 fin 2001. C’est l’euro qui fait très peur. Maiscomme il n’explose pas, il se met à remonter jusqu’à son sommet historique à 1,6, mi 2008. En vérité, ce n’est pas dû à son mérite, mais à la crise américaine des subprimes. C’est le dollar qui fait très peur ! A ce moment, l’euro devient la monnaie refuge ! Mais, comme le système américain n’explose pas non plus, bien sûr, l’euro se remet à baisser à partir de 2014 jusqu’à 2017, avec la crise des dettes publiques de la zone. Il faudra le whateverittakes salvateur de Mario Draghi fin juillet 2017 pour le sauver. Une remontée apparaît alors jusqu’à 1,25 début 2015, avant la pente actuelle, préoccupante, et la chute depuis janvier 2020, 15 mois bientôt. Cinqraisons s’ajoutent derrière cette glissade, sans que le Président Trump n’ait (encore) à crier à une manipulation qui favoriserait les exportations européennes.
Première raison, la zone euro ne croît plus : 0,9% de croissance sur un an en zone euro, contre 2,3% aux États-Unis. Les États-Unis sonten fait une économie fermée, très liée à la consommation des ménages, à la construction et à des investissements d’entreprises largement home made. La zone euro est bien plus ouverte et sensible à l’environnement extérieur dans ses échanges, notamment par son industrie. Même si l’on peut se poser des questions sur les effets de l’épidémie chinoise sur la croissance américaine, les cours boursiers faisant par exemple un large écho aux messages d’Apple sur ses difficultés d’approvisionnement en composants, elle vient surtout de la hausse des salaires et du moral des ménages, avec un taux de chômage au plus bas. Par différence, la croissance de la zone euro, singulièrement plus faible que l’américaine depuis des mois, avec un taux de chômage à 7,4% contre 3,6% aux États-Unis, se trouve bien plus affectée par ses exports qui baissent vers la Chine et la région.
Deuxième raison, l’euro ne paye plus, il coûte plus !Un placement à 10 ans rapporte -0,4% en bons du trésor allemand, -0,4 néerlandais, -0,2 français, à comparer à 1,5% aux États-Unis. Si l’on veut tenir compte de l’inflation instantanée, tous les placements à terme sont perdants : -2,1% en Allemagne et aux Pays-Bas, -1,7% en France contre -1% « seulement » aux États-Unis. Et les écarts sont plus nets encore à court terme, les taux étant négatifs en zone euro et entre 1,5 et 1,75% aux États-Unis. C’est bien pourquoi la zone euro exporte son épargne, et sa croissance avec, vers les États-Unis : ils croissent plus, même avec un dollar qui croît plus.
Troisième raison : l’Allemagne inquiète, économiquement et politiquement. Elle est l’économie majeure de la zone, autrefois son rempart, aujourd’hui la plus affectée par le COVID-19 chinois, les menaces américaines et le Brexit. Ses points forts, l’industrie et notamment l’automobile, sont au carrefour de la baisse de la demande chinoise, des menaces américaines et des interrogations sur les sites de production post-Brexit. Politiquement, le parti d’Angela Merkel n’est plus majoritaire et se déchire, l’alliance avec le SPD ne suffit plus. Et, en finance, il faudra bien savoir ce qui se passe avec Deutsche Bank, Commerzbank et les centaines de banques coopératives et caisses d’épargne dont les coûts de structure sont trop élevés. Et si l’Allemagne inquiète, la France étant sous pression, on peut penser que l’influence du « couple franco-allemand » est plus faible, et au sud et à l’est.
Quatrième raison : le Brexit va mal se passer. Le temps de la diplomatie plus ou moins feutrée va laisser place à une montée des tensions entre RU et EU, l’Union refusant la proposition du schéma Canada, en disant qu’elle n’est pas assez précise, ce qui rendra de plus en plus difficile un accord rapide. Le RU va menacer et tenter de diviser, l’atmosphère s’envenimer.
Cinquième raison : les marchés parient sur Trump aux élections et ne savent pas pour la zone euro. Qui en Allemagne, en Italie, en Espagne et en France dans un, deux ans ou plus ? En revanche, aux États-Unis, il semble bien que Joe Biden est out (trop mou ou bien est-ce l’effet retardé des interrogations sur le rôle bien payé de son fils en Ukraine, révélé par l’affaire de l’empeachment) ? Mike Bloomberg pourra-t-il se faire une place modérée, en lieu et place de Pete Buttigieg (cemodéré trop intelligent mais surtout jugé trop tendre), alors qu’il est trop riche : 55 milliards de dollars dit-on ? Car Bernie Sanders ne cesse de monter avec le soutien des jeunes et une position très à gauche, proposant plus d’impôts pour les (très) riches qui financeraient son programme très social. Le risque est une fracture au sein des Démocrates, face à Donald Trump qui regarde, tweete et propose encore moins d’impôts.
Jusqu’où donc la baisse de l’euro ? Jusqu’au moment où il aura suffisamment baissé pour que les investisseurs américains (ou en dollars) se rendent compte que le CAC 40 (par exemple) est bien moins cher que le Dow Jones, rapporte au moins 4% par ses dividendes et que les actions y sont bradées ! Et ce sera pareil avec les bonnes entreprises en zone euro, décidément moins chères. Moralité : l’euro va baisser jusqu’au moment où les marchés jugeront qu’il a trop baissé. Souhaitons que ce soit le cas.
Atlantico