Le baromètre trimestriel Coe Rexecode et BPI France publié ce 15 mai a pu mettre en évidence le fait que 52% des dirigeants de PME estiment que les difficultés de recrutement brident le développement de leur entreprise.
Atlantico : Quelles sont les causes de ces difficultés ? Des problèmes de compétences à la rémunération, en passant par la localisation et les problèmes de logements induits, quelles sont les causes de cette situation ?
Jean-Paul Betbeze : Voilà des mois que l’on voit venir le problème français : le mismatching, autrement dit la non correspondance entre les offres d’emploi des entreprises et les capacités requises, l’inadéquation en français. Voilà des années que l’on alerte sur les lacunes de l’apprentissage, sur l’impréparation technique aux métiers industriels et serviciels, aux langues ou aux codes. On se lamentait alors, plutôt, sur la désindustrialisation, en se comparant à l’Allemagne et en se disant que le processus était inévitable. En même temps, les pouvoirs publics réduisaient enfin les charges pesant sur les entreprises (CICE), tandis que de son côté le chômage pesait sur les salaires. Bref, les marges se reconstituaient peu à peu, en même temps que la croissance s’accélérait en 2017.
Nous y sommes. L’enquête BPI, Le LAB et Rexecode montrent ce qui se passe et surtout, malheureusement, ce qui va se passer. « Les difficultés de recrutement sont plus que jamais perçues comme le principal frein à l’activité, devant le niveau de la concurrence. Elles sont citées par 52% des entreprises interrogées et leur importance ne cesse de croître. A l’inverse, le manque de débouchés n’est un frein que très marginal à la croissance. Le manque de fonds propres ne freine la croissance que pour 24% des PME mais cette proportion s’accroît régulièrement, ce qui pourrait sans doute être lié à l’augmentation générale de leurs investissements. »
En fait, selon l’enquête, 86% des PME ont des projets d’embauche et 81% disent ne pas avoir de candidat (!), autrement dit de candidat ayant la qualification adaptée. Il ne s’agit pas de niveau de qualification, d’expérience, de culture ou de salaire : c’est plus grave. C’est un ensemble de lacunes qu’on nomme les soft skills, les attitudes et les comportements d’entreprise, à côté de compétences techniques qui font défaut aujourd’hui.
Bien sûr, la description est excessive, fruit de la lacune des compétences et de l’impréparation. Les PME, contraintes par leurs marges trop faibles liées à une croissance nationale (surtout) insuffisante, ne peuvent souvent prévoir et se préparer. Aujourd’hui, elles réagissent en disant qu’elles vont revoir leur organisation d’embauche (réseaux), sous-traiter, chercher des intérimaires, réduire les demandes ou renforcer, en interne, les formations, la polyvalence, investir et in fine seulement développer le télétravail.
Ce sont les PME industrielles et celles de la construction qui sont les plus atteintes par cette pénurie de qualifications en France. Les grandes entreprises, affectées aussi par la pénurie de main-d’œuvre adaptée, pourront plus aisément embaucher en payant plus, sous-traiter ou importer, notamment en faisant fonctionner leurs réseaux de production.
Le risque de cette pénurie est de répondre par les salaires, en hausse, et non par la montée des qualifications et de structures plus efficaces et plus souples dans la durée. L’embellie est une excellente chose, mais on perçoit des signes de ralentissement : le pire, en matière, d’emploi, est le stop and go, les changements de rythme. La compétitivité, notamment dans les PME d’industrie et de services, vient du renforcement d’un noyau de compétences qui permet d’absorber les innovations et les chocs de concurrence et de conjoncture. C’est seul ce noyau, à faire grossir, qui permet de dessiner des carrières et donc des trajectoires de salaire, de formation, d’intéressement et de retraite.
L’INSEE avait également pu mettre en avant un tel phénomène au cours de l’année passée, tout en montrant que la progression de ces difficultés étaient encore inférieures à celles rencontrées lors de la période 2000-2008, c’est-à-dire avant la crise, et ce qui n’avait pas empêché au baisse du chômage pendant cette même période. Que peut-on en apprendre sur les moyens utilisés par les entreprises pour faire face à ces difficultés ?
Le travail de l’Insee montre que les limites en personnel ressenties par les entreprises remontent depuis 2017, mais moins qu’entre 2004 et 2008, avant la crise. En même temps, le taux de chômage au sens du BIT reste remarquablement constant à 8,5% en moyenne en France métropolitaine jusqu’à l’embellie de 2007 qui précède la crise. Depuis, le taux de chômage est monté jusqu’ à 10,5% et se retrouve actuellement à 8,6%, comme en début 2004 ! On pourrait ainsi dire que taux de chômage actuel « fonctionne » avec moins de tensions au recrutement qu’alors (40% contre 30% aujourd’hui), autrement dit que les entreprises se sont plus aisément adaptées… alors.
En effet, l’Insee regroupe les questions pour trouver l’évolution des raisons de ces barrières dans le temps. On trouve que la barrière liée au coût d’embauche et à la réglementation augmente un peu, mais celle liée à la compétence explose depuis janvier 2016. La bonne nouvelle serait donc que la contrainte serait aujourd’hui plus forte, conduisant à plus d’embauches, mais si et seulement si les compétences sont trouvées.
Quelles sont les implications d’une telle situation en termes de politiques publiques ? Que peut faire le gouvernement pour aider les entreprises confrontées à une telle situation ?
On comprend que les « barrières traditionnelles » ont baissé en importance, sans doute avec les nouvelles lois qui ont réduit les risques sociaux (coût et risque associés au licenciement) et avec les tentatives en cours pour simplifier l’activité économique. En fait, les entreprises citent (selon l’Insee) 2,8 barrières, mais elles sont groupées. Les barrières « réglementation » sont liées à celles du « coût du travail » et à la « situation économique » (incertitude), tandis que les entreprises qui se plaignent de compétences trop rares ne se plaignent en fait ni de normes, ni de salaires, ni d’incertitude économique. Elles avancent.
Au fond, les barrières sont de deux natures : les barrières fréquemment citées par les entreprises et auxquelles s’attaquent la loi El Khomri et les Ordonnances qui viennent d’être votées et les barrières de compétences, liées à la révolution technologique en cours. Les premières impliquent de continuer, notamment dans la construction et l’apprentissage. C’est une question d’explication et de persévérance. Les secondes sont un risque, un risque que les entreprises freinées ou bloquées s’arrêtent ici d’avancer (et d’embaucher), pour aller voir ailleurs. Les barrières d’aujourd’hui ne sont pas du tout celles d’hier. Pour bousculer les nouvelles, à côté de ce qu’il faut continuer à faire contre les « anciennes », il faut donc des politiques encore plus pro start ups !
Atlantico