La fin des pièces rouges, oui. La fin des centimes, non !

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Les pièces de un et deux centimes pourraient bientôt complètement disparaître de la circulation. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, envisagerait de ne conserver que les pièces de cinq centimes afin de réaliser des économies.

La fin des pièces rouges, oui. La fin des centimes, non !

Il faut se méfier des « petits chiffres ». On se souvient peut-être, c’était en 2018, de la hausse de 6 centimes par litre du diesel et de 3 pour l’essence. Il s’agissait de faire « converger leurs prix jusqu’en 2022 et de lutter contre le réchauffement climatique ». C’étaient assurément d’excellentes raisons techniques, mais prises quand le prix du pétrole et l’insatisfaction sociale montaient : les « gilets jaunes » étaient nés.

Aujourd’hui, il s’agit de la fin des pièces rouges ! Celles de 1 et 2 centimes, rouges parce que faites de cuivre (coûteux) sur un « cœur d’acier » (cela ne s’invente pas), sont (ou seraient) dans le collimateur de la Commission européenne. C’est la deuxième fois depuis 2013 : la tentative avait échoué. La revoilà. C’est en effet, selon  le Süddeutsche Zeitung,  un des projets d’Ursula von der Leyen, de supprimer les pièces de un et deux centimes d’euros. En fait, les pièces étant de compétence nationale, il s’agirait plutôt de trouver des règles d’arrondis communes en zone euro pour n’utiliser que les pièces de 5 centimes. Cela permettrait bien sûr de faire des économies, sachant que l’Italie a déjà cessé d’en frapper depuis 2018.

Cette proposition de la nouvelle Commission européenne était déjà celle du Comité d’Action Publique 2022, français, publiée en juin 2018 (la 16ème sur 22). Il s’agissait, en fait, d’aller vers une société « zéro cash ». Ceci devait être d’autant plus aisé que la proportion des transactions réglées en espèces est plus faible en France que chez d’autres européens : 55% de leur nombre en France, contre 89% en Italie, 75% en Allemagne et 60% au Royaume-Uni. En plus, la démarche serait graduelle, passant par l’acceptation obligatoire des paiements dématérialisés (par carte bancaire, téléphone, virement) pour tous les achats, sans montant minimum. Pourrait ainsi se mettre en œuvre la réduction progressive de « la circulation d’espèces vers une extinction complète. On pourrait commencer à court terme par mettre fin à la circulation des pièces de 1 et 2 centimes, comme cela a été fait en Irlande, en Finlande et en Belgique par exemple » écrit le Rapport.

Alors, quand décider, sachant que la zone euro devra d’abord aider pour les règles d’arrondi mais que la décision d’arrêt sera française ? Si l’on ne fait que de l’économie sur le coût des pièces, la question est vite tranchée, mais il faudra convaincre les banques, les commerçants (et les taxis) d’accepter les petits règlements en carte. En 2013, la Commission européenne avait estimé que depuis 2002, la frappe des pièces de 1 et 2 centimes avait coûté 1,4 milliards d’euros à la zone euro, net de la valeur créée, sachant que la pièce de 1 centime coûte 1,2 centimes à frapper, hors coûts de transport et de stockage. Donc on surprime la frappe à Pessac, sachant que l’on aura à faire face alors à deux réactions : celle des ouvriers de l’usine, celle des syndicats de salariés et des associations de consommateurs qui craindront les arrondis à la hausse, la perte maligne de pouvoir d’achat et la remontée subreptice de l’inflation.

Mais il s’agit encore là d’économie « objective », pas « d’économie ressentie », la seule qui compte. C’est comme pour la température, quand le vent souffle. Et le vent politique est décisif : « l’effet arrondi » risque d’être important chez le consommateur, quand l’inflation remonte à 1,5% et que les ménages pensent qu’elle continue. Le risque peut paraître unitairement faible, mais il est surtout multiplié. En effet, il y a énormément de ces petites pièces en zone euro : 36 milliards de 1 centime (donc pour 0,36 milliard d’euros) et 28 de 2 centimes (pour 0,56 milliard), sur un total de 135 milliards de pièces, pour une valeur de 30 milliards. Elles représentent 3% de la valeur des pièces en zone euros, mais 47% de leur nombre !

Attention : dans une enquête de 2016, la Banque centrale européenne s’était déjà inquiétée de ces piécettes. 37% seulement des répondants déclarent qu’ils n’utilisent pas ces pièces reçues dans leur rendu de monnaie : elles finissent dans une boîte ou se perdent. Mais c’est donc que 63% déclarent les utiliser pour des paiements ultérieurs ! Et l’on pourrait penser que les pourcentages de réponses les plus élevés se retrouvent pour des pays « pauvres » : c’est vrai pour la Lituanie (84%), la Lettonie (82%), le Portugal et l’Estonie (78%), mais vient ensuite la France ! 63% des Français déclarent garder les pièces de 1 ou 2 centimes qu’on leur rend pour leurs futurs paiements. N’empêche, en octobre 2017, 58% des Français sont pour la suppression. Vrai, pas vrai ? Ou suppression,mais sous quelle condition ?

Le risque haussier des arrondis est-il excessif ? Pas du tout. D’abord, rien ne sera possible sans une règle européenne pour les arrondis, claire, expliquée et vérifiée. Mais, dans une France où l’inflation remonte, l’Insee a bien vu, lors du passage à l’euro, que les effets d’arrondis poussent à des hausses d’autant plus ressenties que les achats sont fréquents : + 0,3 point sur le pain et la pâtisserie, + 1,5 pour  les cafés. L’Insee ajoutait que « l’effet arrondi » était légèrement baissier pour les gros appareils électroménagers, mais on ne paye pas un aspirateur avec des pièces de 1 et 2 centimes ! Attention à la baguette et au petit noir : ce sont les prix que les Français connaissent.

En fait, une solution serait de distinguer le centime pièce du centime compte : on paierait une baguette 0,87 euro de 250 grammes, non pas arrondie à 0,85 ou 0,90 (!), mais par carte, téléphone, pay pal… sans qu’il soit possible au commerçant de refuser la transaction. Et expliquons simplement : la pièce d’un centime coûte déjà plus cher à faire que sa valeur, mais plus encore il s’agit de la chercher, de la compter, de la ranger dans le porte-monnaie ou dans la caisse ! Prenons un coût horaire à 10 euros, soit pour 3600 secondes : 4 secondes, c’est donc 1 centime d’euro, le temps passé soit à le chercher, à le compter, à le ranger… Le temps passé à utiliser la pièce nous coûte bien plus qu’elle ne vaut ! Donc comptons avec précision, au centime, et utilisons de plus en plus les moyens modernes, à la seconde pour payer. Alors tout ira plus vite et moins cher : on aura de moins en moins besoin de pièces et de billets, sans inflation ni contrainte. L’argent, c’est du temps !


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