"Il sera difficile de reconstituer le capital confiance sans perception d’une amélioration de la situation économique"

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Faire confiance aux entreprises, leur donner une place centrale au sein de la société, apaiser le corps social, baisser les prélèvements et donc la dépense publique pour faire remontrer les marges des PME, s'appuyer sur les créateurs et leurs réseaux, pour libérer les énergies et les possibilités... Autant de dossiers imbriqués, autant de vastes chantiers d'ordre fiscal, juridique, social à engager de concert pour que la France mette en avant les conditions mesurables et non mesurables de la reprise, estime Jean-Paul Betbèze, président du cabinet Betbèze Conseil et ancien chef économiste de Crédit Agricole SA.

Institut Sage : Jean-Paul Betbèze, comme président du cabinet Betbèze Conseil et ancien chef économiste de Crédit Agricole SA, selon vous la crise de 2008 – 2009 a détruit énormément de confiance entre les acteurs économiques. Pensez-vous que ce capital, indispensable au fonctionnement de l’économie, soit en train d’être reconstitué, notamment en France ?

Jean-Paul Betbèze : Il ne faut pas rêver. Il sera difficile de reconstituer le capital confiance sans perception d’une amélioration de la situation économique. Il faudra donc du temps. Il en faudra d’autant plus que les conditions de reprise reposent sur la remontée des marges ; une remontée qui devra être stabilisée dans le temps, autrement dit sur la modération des salaires et sur la baisse des charges, ce qui implique une baisse de la dépense publique. Les dossiers sont terriblement imbriquées, car la confiance est, en fait, partout. Le manque de flexibilité de notre économie, les crispations sur les avantages acquis sont autant de manifestations de ce manque. Pour avancer, il faut donc mettre en avant les conditions qui sont mesurables de la reprise (montée des marges, baisse des dépenses publiques…) et les conditions non mesurables, la confiance en premier, la solidarité ensuite. Il faut donc mettre en avant ces notions, décisives dans les pactes en cours de discussion.

Institut Sage : En 2006, vous avez co-écrit le rapport Une stratégie PME pour la France.  Huit ans plus tard avez-vous le sentiment que la France a fini par mettre, au cœur de ses choix économiques, les conditions de croissance des PME ? Des entreprises qui, selon un sondage Ipsos, inspirent confiance aux Français pour trouver des solutions constructives afin de sortir de la crise, contrairement aux pouvoirs publics.

Jean-Paul Betbèze : Depuis ce rapport et un autre que j’avais écrit sur la R&D et les pôles de compétitivité, des avancées ont été faites, intégrant d’ailleurs certaines propositions. Pour tous désormais, les PME sont centrales pour la croissance et l’emploi. Il faut leur permettre de naitre, de s’étendre, de se développer – donc accepter leurs morts, leurs évolutions, leurs regroupements. Pour tout cela, il faut travailler sur leurs marges, sur leur financement, sur les délais de paiement, les liens avec les territoires… C’est donc une action d’ensemble, un écosystème qui doit naître de la base, pas d’en haut avec l’administration, qui ne peut avoir de culture du risque. Il faut effectivement mettre l’entreprise au cœur de la société, avec ce que ceci implique de partage d’informations entre les parties-prenantes, de compréhension des mutations que nous vivons et de rapports relatifs entre la convention et la loi. La convention entre les parties privées doit devenir la base de la loi pour ce qui concerne l’entreprise. On le voit avec l’Accord national interprofessionnel (ANI). Cette logique doit s’étendre pour aligner les règles et les corps d’expression sociaux et politiques. Ce n’est que comme cela qu’on apaisera le corps social en permettant les mutations.

Institut Sage : Dans le contexte de mondialisation, de concurrence entre les États en Europe, et de fin de notre modèle de développement basé sur la consommation des ménages issue d’une démographie en expansion continue, quel doit être le rôle de l’État ? Quels leviers doit-il actionner en priorité afin que la France compte un plus grand nombre de PME-PMI pérennes et de gazelles ?

Jean-Paul Betbèze : Notre modèle de développement basé sur la consommation des ménages a été en réalité financé, donc permis, par de la dette, interne et externe, privée et publique, parce qu’il perdait pied. La dette est la contrepartie de la perte de compétitivité. Pour en sortir, il faut redynamiser l’ensemble – à partir des créateurs et de leurs réseaux, libérer les énergies et les possibilités. L’État doit donc demander le moins possible en matière de normes et de contraintes, prélever moins et faire confiance au dialogue social interne.

Institut Sage : À quel rythme et, dans quel cadre, notre système fiscal par sa complexité doit-il s’adapter aux changements majeurs de l’économie ? Est-il un frein pour la compétitivité des TPE et des PME face à nos voisins européens ?

Jean-Paul Betbèze : Notre système fiscal doit évidemment se simplifier à partir d’une baisse générale des prélèvements. La logique en cours implique une modernisation des administrations pour réduire la dépense publique, ceci conditionnant la baisse des charges. C’est donc un bi-pacte qui se met en place, privé et public.

Institut Sage : Notre dispositif législatif et réglementaire peine à gérer les grandes disparités de situations au sein des TPE et des PME. Le mécanisme des seuils qui s’applique en matière de fiscalité, d’aide à l’innovation, de droit du travail ne nuit-il pas à leur développement ainsi qu’à l’efficacité des aides publiques qui leurs sont consacrées ?

Jean-Paul Betbèze : Les seuils, les aides, les ciblages… participent de cette logique de complexité qu’on dénonce mais qui fait vivre des cohortes d’experts, de régulateurs et de vérificateurs…. La puissance publique doit financer la recherche fondamentale – point. Ceci n’a rien à voir avec un ciblage des aides, au contraire. Il faut aider en amont, sans savoir ce qui va arriver, où et quand. Les grands centres de recherche mondiaux sont de plus en plus importants et interdisciplinaires. C’est là qu’il faut aller, surtout pas dans la pseudo-spécialisation des aides qui ne donnera rien.


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