“Il ne faut pas que le Brexit réussisse” : Le pari perdant d’Emmanuel Macron

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Alors que s’ouvrent les négociations commerciales entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, la stratégie que semble vouloir suivre le Président de la République interroge.

“Il ne faut pas que le Brexit réussisse” : Le pari perdant d’Emmanuel Macron

Atlantico : Alors que les négociations sur le Brexit entre le Royaume Uni et l’Union européenne sont sur le point de débuter, Emmanuel Macron a confié « ne pas vouloir que le Brexit réussisse ». Comment expliquer cette réaction? Marque-t-elle un désaveu de la part du président français ?

Jean-Paul Betbeze : D’abord attention à bien comprendre le mot paradoxal d’Emmanuel Macron : si le Brexit « réussit », autrement dit si l’on obtient plus de croissance et d’emploi hors de l’Union européenne que dedans, alors c’est que la stratégie de l’Union n’est pas la bonne, ou au moins pas bien mise en œuvre ! Il n’y a donc aucun désaveu, bien sûr, par rapport aux règles que l’Union s’est donnée, avec un Grand marché régulé, des normes sociales, économiques, sanitaires, environnementales exigeantes… Mais l’idée que ces règles doivent permettre de créer un espace économique et social compétitif et efficace, de première qualité, offrant les meilleures conditions à ses membres.  Autrement c’est raté, ou pas bien fait !

En fait, c’est donc ici, un double message. Au Royaume-Uni en premier lieu, en lui disant que les règles constitutives du Grand marché sont essentielles à son succès et seront donc défendues. Aux membres de l’Union ensuite, s’il apparaît que le Royaume-Uni arrive à négocier des accords plus efficaces avec d’autres partenaires, du Commonwealth par exemple, pour que l’Union obtienne le même traitement !

 

Avant même d’avoir débuté, les négociations semblent être dans l’impasse. Une sortie de crise par le haut est-elle envisageable ? Quels leviers économiques le R.U et l’U.E peuvent-ils actionner pour sortir de cette situation par le haut?

Jean-Paul Betbeze : Pire que dans l’impasse : en grand danger d’échouer, suite à la stratégie de négociation de Boris Johnson : négocier vite, notamment vouloir tout « boucler » fin 2020 ! On peut politiquement expliquer ce choix de la vitesse : il lui a réussi, avec une nette victoire sur le Labour Party. « Get Brexit done », faire le Brexit, c’était évidemment mieux que les négociations interminables de Theresa May. C’était mieux encore que la stratégie de son concurrent travailliste, Jeremy Corbin, où il fallait d’abord mener un programme socialiste avancé (avec hausses de salaires et nationalisations) avant de se lancer dans un deuxième référendum, pour infirmer ou confirmer le premier ! Les électeurs britanniques avaient un autre ordre de priorité, et les urnes l’on bien montré : « Brexit done » !

C’est cette logique de vitesse que Boris Johnson continue de jouer. Et l’Union tombe dans le panneau en disant que c’est possible : ce sera donc de sa faute si elle freine, discute, « pinaille » ! Et donc Michel Barnier doit aller vite ! Et Boris Johnson marque alors sa préférence pour un accord sur le modèle canadien, et l’Union accepte ! En oubliant sans doute qu’il a fallu sept ans pour le signer et que les échanges entre RU et UE sont des multiples de ceux entre Canada et UE. C’est prendre une taille S pour du XXL ! Et ce n’est pas tout : un accord sur la pêche doit être signé à part, fin juin, précondition pour la suite.

Boris Johnson vient de mettre une terrible pression sur l’Union en indiquant qu’il voulait des lignes de débat à fin juin, pour savoir si un accord était possible, autrement il était prêt à partir. Son message est clair : le Royaume-Uni veut reprendre le contrôle de ses règles et lois et ne pas accepter le « dynamic alignement », terme technique dans lequel il ferait évoluer ses règles et normes en fonction des évolutions des règles et normes de l’Union. Un accord commercial oui, une aliénation de la démocratie non, est la position britannique. Elle réfute les analyses de l’Union mettant en avant le volume des échanges ou la proximité géographique pour légitimer plus de temps et de précisions. Un mandat de 46 pages va dicter la ligne de conduite de Michel Barnier, le britannique en comporte 38.

Dans le mandat européen, en page 26, se trouve sans doute La pomme de discorde. On y trouve la liste des composantes du level playing field dans la durée (sustainability) : aides d’états, concurrence, entreprises publiques, normes sociales et d’emploi, d’environnement et de changements climatiques… avec des mises à jour dans le territoire. L’idée que des adaptations règlementaire européennes doivent être reprises au Royaume Uni y est inacceptable, puisque c’est la négation même du Brexit ! Un accord de gentlemen serait qu’il est bien clair que le RU ne fera aucune espèce de dumping… Mais on ne sait pas ce qu’il adviendra de tout cela dans la durée : les écrits restent.

Bref, Boris Johnson veut aller vite en besogne, signer vite avec l’Union, pour négocier ensuite avec les États-Unis, l’Australie, le Canada, la Nouvelle Zélande. C’est clair. Son idée est de gagner en flexibilité et en efficacité, et de vendre plus sur le marché européen, même avec ses normes ! C’est bien pourquoi, même si Emmanuel Macron est trop direct, le risque est en fait que le RU montre que, même à normes égales, nous sommes trop lourds, coûteux, peu efficaces par rapport à lui. C’est peut-être cela un divorce win win : le RU sera plus libre de son côté, et l’Union sera moins engoncée du sien, qui lui court après ! L’histoire apprend tous les jours


Atlantico

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