Selon un sondage de l’Ifop pour la Fondation Jean Jaurès, 65% des Français estiment que la civilisation telle que nous la connaissons va s’effondrer. Un tiers de ces personnes estiment que cet effondrement sera brutal et qu'il interviendra en l'espace de 20 ans.
La planète – dans l’Histoire – ne s’est jamais aussi bien portée d’un point de vue économique et le monde n’a jamais été aussi riche. Sans nier les problèmes actuels (hausse des inégalités, gilets jaunes etc.), pourquoi existe-t-il un tel décalage, une telle confusion entre ce que pensent les gens (dans leur imaginaire) et la réalité ?
Jean-Paul Betbeze : Cet effondrement auquel « croient » les Italiens, les Français, moins les Anglais et Américains, pas vraiment les Allemands, vient de la rencontre entre des changements majeurs qui pourraient bouleverser l’avenir, sans vraiment savoir comment réagir. Les Américains inquiets préparent des provisions et un sac de survie, mais très peu des autres « inquiets » interrogés dans les autres pays. Parce qu’ils ne savent pas quoi faire ou, au fond, parce qu’annoncer un effondrement est une façon de dire que nous savons, moins que jamais, de quoi demain et après-demain seront fait ? Peur ou ignorance inavouée ?
De fait, tout est trouble : nous vivons en plein déluge médiatique, marchand et politique, où seul l’excès paye. En France, la répétition des erreurs factuelles sur les montées des inégalités et de l’inflation, sur les « coups de pouce » tant attendus du SMIC ou du Livret A (le fameux « placement préféré des Français »), ou encore sur « Macron Président des riches », le tout sans chiffres et sans références, créeune vision parallèle à la réalité. La « priorité au direct », le « micro trottoir » où seule compte une phrasechoc, plutôt contre le Président, moins bien contre l’Europe ou les États-Unis, avec en toile de fond le capitalisme exploiteur qui devient pollueur, tout cela façonne un monde dangereux. Il nous veut du mal, avec des chefs qui ne nous protègent pas. Les listes des métiers condamnés : employé de banque et de poste, chauffeur de taxi, docteur, comptable, cadre intermédiaire… fabriquent un monde fait de quelques spécialistes très bien payés, de nombreux « petits boulots » et de chômeurs. Tout s’extrémise, tout se polarise : pourquoi ?
Parce qu’on ne parle pas de ce que font en permanence les entreprises de toutes tailles pour former leurs personnels et s’adapter à ce monde en révolution permanente, parce qu’on a oublié que,presque tous, nous avons adopté le micro-ordinateur ou le portable, utilisons Google et Amazon. Les geeks et autres digital natives savent eux aussi qu’il leur faut suivre ce qui se passe : révolution technologique, montée de la Chine et de l’Inde en attendant l’Afrique. Notre monde change plus vite que jamais, et en même temps s’adapte : on n’en parle pas. Il y a des chocs, des crises et des peurs, mais aussi des succès comme les GAFAM ou Telsa, en attendant les avancées technologiques et culturelles chinoises et tout cela, on le voit venir, si on garde les yeux ouverts. La peur du changement s’explique par le changement lui-même, comme toujours, mais aussi par ceux qui l’instrumentalise. La surveillance de notre vie quotidienne ne viendrait donc que de Huawei ?
Enfin, les apports de ces révolutions qui se conjuguent et se mondialisent comme jamais dans l’histoire du monde ne sont pas mises en avant : médecines, robots, véhicules plus sûr, domotique… Ce monde en changement suppose préparation et formations : c’est largement la tâche des entreprises et de la responsabilité de chacun.
Sur le plan économique, concrètement, comment redonner foi aux gens ? Comment faire pour les convaincre que le monde est toujours habitable ?
Jean-Paul Betbeze : L’apprenti va maîtriser un métier et va trouver un emploi : nous vivons une véritable explosion de leur nombre. Le salarié dont l’emploi va changer doit être formé et se former. Il s’agit de populariser les milliers de cas où des adaptations et des solutions se trouvent. On parle de la crise de confiance, en soi et entre soi, il faut aussi ajouter que rien ne sera possible sans un ample mouvement porteur du changement : entrepreneurs, innovateurs, salariés volontaires, leaders et entraîneurs. Nous savons qu’une révolution se heurte aux intérêts antérieurs et autres « avantages acquis » et que nous en vivons une collection, de révolutions et d’ « avantages acquis ».
Le monde restera habitable, mais ce sera très compliqué sans changements de comportements, pour aller vers plus d’efficacité dans la production et les échanges. L’arrivée de la Chine, en attendant l’Inde, les vagues de révolution technologiques en cours, le dynamisme démographique africain, le changement dans la hiérarchie des pays, les risques de tensions et de guerre après 70 ans de Grande paix… peuvent inquiéter. Sauf si l’on y voit un monde plus divers, plus coopératif, mieux formé. Il ne s’agit pas de « lutter contre les inégalités en taxant les riches », mais de former plus longtemps et plus que jamais. La peur crée le blocage économique qui la justifie et fait prospérer les collapsologues et autres grandes peur de l’An Mil. Le seul risque est de céder à la peur, non seulement elle est mauvaise conseillère, mais en plus elle est violente.
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