A travers des lunettes roses... ou des lunettes jaunes : pourquoi la France va à la fois bien mieux (si, si) et bien moins bien qu’il y a 40 ans

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Entre gilets jaunes et leurs adversaires, deux visions du monde s'opposent, une vision pessimiste d’un côté, celle du gilet jaune, et une vision optimiste de l’autre. Si les deux camps n’arrivent pas à s’entendre, c’est qu’ils s’appuient tous les deux sur des arguments rationnels et factuels.

A travers des lunettes roses... ou des lunettes jaunes : pourquoi la France va à la fois bien mieux (si, si) et bien moins bien qu’il y a 40 ans

 

Atlantico: Qu’est-ce qui selon vous, justifie une vision « en jaune » de notre monde, et peut susciter à raison de véritables inquiétudes ?

Jean-Paul Betbeze: Je ne suis pas sûr que « le gilet jaune » soit pessimiste, ou plutôt assez pessimiste, s’il s’agit de vouloir maintenir autant que possible la situation actuelle, sans profondément changer ! De fait, si l’on veut s’inquiéter, on peut constater la quasi-stagnation du pouvoir d’achat en Europe avec 8% de chômage ou le même résultat aux États-Unis, en plein emploi ! La machine à formation du salaire n’est plus la même, avec la globalisation des échanges (autrement dit l’entrée de la Chine dans le commerce mondial). Si l’on veut s’inquiéter, on peut se dire que l’espérance de vie des Américains baisse, mais pas celle des noirs, des ressortissants d’Amérique latine ou d’Asie et regarder les habitudes alimentaires, liquides et la consommation de « calmants », opioïds en anglais ! Si l’on veut s’inquiéter, on peut dire que l’ascenseur social ne monte plus, en tout cas plus aussi vite, tout simplement parce que les carrières ne sont plus celles de la reconstruction d’après-guerre, puisque c’est reconstruit, mais de la nouvelle construction d’une économie et d’une société avec plus de technologies qui « disruptent » les filières de production et de distribution, moins de jeunes et plus de personnes âgées, et de plus en plus de robots !

En réalité le monde est en profond changement, sous l’effet de deux forces : la démographie et le nombre d’hommes (et femmes) d’abord, surtout en Afrique, la technologie de l’information et de la communication d’autre part. Nous vivons une double révolution, démographique et industrielle, qui peut inquiéter seulement si on ne la voit pas !

La figure de la peur (« jaune de peur » ou « vert de peur ») en est ainsi le risque, et Donald Trump en est l’incarnation : peur des migrants hispaniques par rapport aux WASP américains, peur des copieurs, voleurs, manipulateurs chinois. D’où un mur au Mexique et des barrières tarifaires, normatives et politiques, plus l’armée US et le dollar. Les États-Unis divisent le monde, sans doute pour maintenir quelque temps leur hégémonie. On peut penser ce qu’on veut de cette stratégie, mais ceci nous est impossible en France et en Europe.

Si l’on veut être optimiste, il faut donc partir de la réalité démographique, technologique et politique que nous vivons, et cesser de penser qu’augmenter le SMIC, baisser le fioul ou supprimer le Sénat… est à la mesure des problèmes !

 

Qu’est-ce qui justifierait plutôt une vision en rose, s’appuyant sur les preuves d’une réelle amélioration de nos sociétés ? 

L’histoire du monde a toujours été celle de ses victoires technologiques et sociales, sans jamais oublier leurs coûts humains. Rose si l’on veut, mais pas sans drames. Mais il ne s’agit pas aujourd’hui de la machine à vapeur ici, de la machine à tisser ailleurs, de l’électricité dans un autre endroit, et ainsi de suite : c’est tout, partout, ensemble, plus vite, avec plus d’habitants, et donc bien plus d’oppositions et de contradictions. Ce qui est la grande nouveauté de notre monde : c’est la vitesse de propagation des informations (vraie ou non) et des changements d’habitudes. Dolce et Gabana se relèvera mal de s’être moqué des Chinois, en une semaine. Que se passera-t-il si nous devenons plus vegies ou vegans, pour l’agriculture ? Nous voulons sortir du nucléaire, mais l’éolien et le solaire sont plus chers, et vont-ils suffire si nous voulons des voitures et des bus électriques ?

La révolution de la communication propage plus vite les cris que les solutions. Or, il ne s’agit pas de « faire » payer les riches, de travailler moins, de gagner plus en travaillant plus, de vouloir plus de services publics et moins d’impôts, mais d’élaborer des solutions coopératives, avec plus d’échanges et de formations. Nous connaissons des réussites individuelles récentes, mais elles dépendent toutes de nouveaux comportements, plus simples, plus ouverts, plus modernes, plus coopératifs. Coworking, logiciels libres, AirBnd, Blablacar, extension de la gratuité et des partages d’information d’un côté, mais aussi meilleure connaissance des réalités (compétitivité, déficit, dette, qualité des formations…) vont nous aider à avancer dans le monde compliqué et contradictoire qui est le nôtre. Ce n’est pas « la faute à Macron », comme ce n’était pas « la faute à Voltaire, la faute à  Rousseau » si la révolution frappe à notre porte. Mais on sait que si la solution est simple, facile et rapide, c’est qu’elle est fausse. Et malheureusement pas fluo !


Atlantico

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