Votre nécrologie : ne demandez pas à l’Elysée de l’écrire

- Ecrit par

Je ne vous souhaite pas de mourir, bien sûr. Sinon, je vous souhaite de mourir célèbre,

et même suffisamment célèbre pour avoir une rubrique nécrologique publiée sur le site informatique du Palais de l’Elysée. Notez que je n’ai pas écrit : « mériter une rubrique », ce qui serait discourtois pour ceux qui n’en ont pas eu, ou n’en auront pas. Mais, « mourir célèbre », ne vous suffira pas.

 

Hélas, trois cas récents, je ne suis pas allé plus loin, semblent en effet montrer qu’il ne suffit pas de « mourir célèbre » pour entrer dignement au site (champ) Élyséen.

Pour fréquenter sereinement ces lieux où se reposent (et non pas : reposent) les héros et les vertueux, mieux vaut écrire par avance le texte que l’on souhaite voir ensuite repris, sans excès apologétique bien sûr. Puis, il faut demander à quelque ami bien placé de le communiquer aux plus hautes autorités, charge à cet ami de faire état (et non pas État) de la dégradation préoccupante de votre santé, quand il le jugera utile. Il aidera ainsi ces hautes autorités (visiblement surchargées) à prendre quelque avance dans cette course de vitesse des nouvelles et du buzz, qui remplace, de nos jours, la profondeur des analyses. Pensez à vous en organisant votre « après vous », je vous en prie !

 

Ceci vous évitera ce qui est survenu à la nécrologie de Michel Serres, publiée le 2 juin :

« Ses travaux pionniers lui valurent une reconnaissance tant sur sur (??) le plan national – il fut reçut (!!) à l’Académie française (…!!) en 1990, que sur le plan international… ». « Sur sur » est la preuve que le texte n’a pas été relu, et même que la réaction de Word « Effacer le mot répété » a été négligée. Ou bien, si l’on est aussi bienveillant que Michel Serres, qu’il s’agit là d’une référence au Repetitio est mater studiorum (« La répétition est la mère des études »), attribué à Saint Thomas d’Aquin. Mais continuons : « sur le plan international » est correct, « au plan » serait fautif. Cette erreur a donc été évitée, une autre, pire, ayant été préférée : « fut reçut à l’Académie française », faute de nature à vous en faire chasser ! Et ce n’est pas fini : « Tel Hermès, le Dieu-messager sujet de nombreuses de ses publications.. » Non, Hermès n’est pas le sujet de ses recueils de textes, mais le sym-bole, du grec « mettre ensemble » aurait dit Michel Serres le savant, pensant à Pythagore. Ce titre, repris par ledit Michel, entend signifier que tout « communique », que tout « interfère ». Enfin : « Puissions-nous, collectivement, nous montrer dignes de l’épitaphe d’un savant qui… ». « Dignes d’une épitaphe » (du grec : « sur le tombeau », soupirerait Michel), qu’est-ce à dire ? Pas dignes de cette rubrique présidentielle, pauvre Michel Serres !

 

François Weyergans, un autre académicien français nous a quittés.

Heureux, il ne pourra sans doute pas lire sa chronique nécrologique élyséenne, publiée le 28 mai : « Né en Belgique, d’un père lui-même écrivain mais aussi fervent catholique… ». Ah, ce « mais aussi » ! Ce n’est pas « par ailleurs » qui aurait signifié un étrange, mais bienveillant, parallélisme. Ce « mais » implique une nette opposition. « Ecrivain mais aussi fervent  catholique », vaut donc aussi pour Claudel ou Bernanos ! Toutes ces nécros à rewriter !

Bertrand Collomb, ancien Président-directeur général du groupe Lafarge, a eu aussi sa chronologie, publiée le 25 mai.

« Il y occupa plusieurs grands postes de direction avant d’en devenir le PDG en 1989… Lui qui fut l’un des premiers dirigeants d’entreprise française à avoir obtenu un doctorat. » Université ou entreprise, il faut donc choisir : tant pis pour Pasteur ou Carmat ! Courte vie au Concours Docteur-Entrepreneurs, lui qui veut « montrer que l’esprit d’entreprise est dans l’ADN des docteurs » : il est condamné !

Pensez donc, d’ores et déjà, au site, qui sera votre épitaphe virtuelle.

Pas sûr en effet qu’elle ait « droit à l’oubli » et que les erreurs s’en effacent. En leur temps, les rois avaient leurs historiographes. Ces derniers mesuraient bien les risques qu’ils encouraient, au moins du vivant de leur maître. Depuis, les histoires d’entreprises, financées par elles, ont souvent pris le relai. En même temps, les autobiographies ont toujours leur mérite. Bref pensez-y : même si l’on est célèbre, il ne suffit pas de mourir pour bien entrer à l’Élysée !

JP Betbeze