Pour faire renaître l’inflation : tuer le rentier ou l’écœurer ?

- Ecrit par

On nous avait juré que l’inflation venait de la monnaie et que les banques centrales étaient là pour surveiller le robinet. Or que se passe-t-il ? La monnaie est partout, l’inflation nulle part. La masse monétaire américaine (M2) atteint 12 000 milliards de dollars en mai 2015. Elle a augmenté de 5,8 % sur un an et l’inflation n’a pas bougé. Même chose en zone euro. La masse monétaire atteint 9900 milliards d’euros à la même date. Elle a augmenté de 5 % sur un an, l’inflation de 0,3 %. S’il y a plus de monnaie qui se crée que de biens et services qui se produisent, c’est par la hausse des prix que devrait se faire l’ajustement. Vrai ? Faux ?

 Pour faire renaître l’inflation : tuer le rentier ou l’écœurer ?

Faux, car l’argent peut se stocker. Inquiet, il reste dans les « bas de laine », attendant de s’employer. L’inflation ne se manifeste pas. L’économie est liquide car arrêtée, épargnante. Que faire alors pour pousser cet argent hors de ses billets et comptes, pour qu’il achète biens et services, fasse repartir la machine, avec l’emploi, les salaires et l’inflation qui vont avec ? Deux voies.

Voie un : « tuer l’épargnant », l’euthanasier précise le délicat Keynes. Il faut piéger l’épargne à taux fixe dans un pays à taux de change fixe et créer de la monnaie. Cette monnaie permet de « dépenser plus sans produire plus ». Keynes va jusqu’à proposer de faire des trous dans la pelouse de la Banque d’Angleterre, puis de les reboucher, et ainsi de suite. Shocking ! Les salaires ainsi versés permettent d’acheter : les prix montent. Les détenteurs d’obligations à revenu fixe, les rentiers, s’inquiètent de leur pouvoir d’achat. Ils vendent leurs titres, à perte. Il faut continuer d’imprimer de la monnaie et accélérer le processus : voilà la devise nationale sous pression. Elle dévalue. L’inflation importée poursuit le travail commencé par l’inflation domestique. Nos rentiers sont rincés et il est plus facile aux non rentiers d’emprunter pour investir, se loger, embaucher… : les taux réels (taux nominal moins inflation) sont négatifs ! Bref, l’après-guerre !

Cette voie un, « tuer l’épargnant par l’inflation », est-elle ouverte ? Non et pour quatre raisons : d’abord, le rentier voit mieux le coup venir qu’au temps de Keynes. La presse et les medias l’avertiront. Ensuite, les banques centrales sont là pour gérer l’inflation autour de 2 %. Si elle monte, elles montent leurs taux d’intérêt. Le prix de l’argent qu’elles prêtent aux banques devient plus cher, donc celui que les banques prêtent aux entrepreneurs et aux ménages. Tout se calme assez vite. Troisième raison, le monde est ouvert et les taux de change sont variables. Vous êtes inquiets, vous mettez votre argent ailleurs, immédiatement et à peu de frais. Enfin, vous pouvez acheter des produits financiers qui vous prémunissent, sous certaines conditions, de la hausse des prix.

Voie deux : « écœurer l’épargnant ». Tiens, c’est une idée. De quoi s’agit-il ? Eh bien de baisser les taux d’intérêt à court terme de façon à ce que le dépôt bancaire ne rapporte plus rien. La banque centrale baisse ses taux pour que tous les taux à court terme baissent et qu’en contrepartie les banques, se finançant moins cher, fassent des crédits moins chers. Mais ceci ne suffit pas, car tous les dépôts ne sont pas à court et moyen terme ! Que faire pour les placements à long terme, notamment en bons du trésor ? Eh bien, la banque centrale va les acheter, ce qui les fera baisser. Ainsi la banque centrale fait baisser tous les taux, courts et longs. Mais ceci ressemble terriblement au quantitative easing des banques centrales américaine, japonaise, anglaise et désormais européenne ? Oui, et c’est maintenant !

Mais c’est la guerre des monnaies ! Pas vraiment : tout est dans la nuance. La guerre, c’est quand tout le monde veut baisser ensemble son change, ce qui est impossible. La coopération, c’est quand la BCE laisse monter l’euro par rapport au dollar, alors que ceci ne l’arrange pas… et attend la réciproque. C’est aujourd’hui : une guerre alternée, en quelque sorte.

J’ai compris : « tuer », c’est une rémunération négative ; « écœurer », une rémunération nulle. Mais comment sortir de l’écœurement ? Eh bien, en faisant monter doucement les taux courts puis longs, ce qui (je vous le concède) aura (beaucoup) appauvri ceux qui auront placé quand les taux étaient bas.

Mais alors, on en revient pratiquement à une euthanasie mondiale des rentiers, américains, japonais, français et surtout chinois ! Vous préférez la voie grecque ?

 

Voir sur ce sujet France : une décélération historique de l’inflation, le Zoom du 6 août.