Missive de Jean Tirole à MM Berger (CFDT), Gattaz (Medef), Lepaon (CGT) et Mailly (FO)

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 Missive de Jean Tirole à MM Berger (CFDT), Gattaz (Medef), Lepaon (CGT) et Mailly (FO)

Ah, si vous m’écoutiez ! Le Prix Nobel d’économie reconnaît mes travaux sur le contrat de travail, pas vous ni le gouvernement. Parce que je ne crie pas assez fort ? Parce que je suis à Toulouse ? Parce que je mets en cause des arrangements d’un demi-siècle ?

Car c’est pourtant simple d’améliorer la situation de l’emploi. Il faut compléter, par de la bonne volonté et de la discussion, un contrat de travail qui est par définition incomplet. Le contrat de travail sur lequel tout le monde discute (et rajoute régulièrement des pages au code du travail), donne un prix (salaire) pour une quantité (temps passé). Mais ce contrat ne précise pas l’essentiel, à savoir que le succès de l’entreprise implique aujourd’hui non seulement de faire au plus vite et au mieux (comme toujours), mais d’intégrer, au plus fin, les demandes des clients. Le contrat de travail est un contrat individuel de moyen, pas d’objectif, encore moins de résultat. Il est dépassé pour gagner la bataille actuelle de la compétitivité mondiale, donc de l’emploi. En effet, il s’agit aujourd’hui non seulement d’ardeur au travail mais plus profondément d’implication pour améliorer le couple qualité/compétitivité des résultats obtenus par le salarié et son équipe. Il ne s’agit donc plus de vérifier et de sanctionner – comme dans l’industrie il y a un siècle (d’où vient ce contrat), mais d’innover en motivant, de former en impliquant.

Vous le savez, bien sûr, réussir aujourd’hui dans l’entreprise c’est gagner à l’export. Il faut combiner productivité et qualité, avec une implication personnelle croissante. Le contrat de travail (interne à l’entreprise) et le marché du travail (externe à l’entreprise), ne peuvent donner ce résultat. Pour l’obtenir, il faut que le salarié aime son travail et son entreprise, lui et ses collègues, au sein d’un contrat de confiance avec l’entreprise, ses patrons et ses cadres. Si l’entreprise est vécue comme ennemie, si elle triche, c’est raté. Pour passer d’un « jeu » social désavantageux des deux côtés, donc pour l’économie dans son ensemble, à un jeu mutuellement positif, il faut enrichir régulièrement le contrat dans la transparence, la quantification des objectifs et la diffusion des résultats obtenus. C’est ainsi que réussissent les économies les plus efficaces, par la coopération renforcée, pas par des sanctions dans un climat de suspicion.

Bien sûr, quand je parle de contrat de travail, d’informations, de « jeux (sociaux) répétés » pour devenir mutuellement avantageux et répondre aux défis d’aujourd’hui, on aura compris que je ne parle pas « d’exploitation de l’homme par l’homme » ni de « relance par la consommation ».

Mais je vous l’avoue, ce qui me surprend le plus est ailleurs. C’est que les leaders syndicaux discutent et signent des accords de travail dans des entreprises où ils ne sont pas (TPE), à peine (PME) ou peu (GE), à partir de leurs positions de force, toute relative et qui s’effrite, dans le public. J’ai beaucoup travaillé sur « la capture du régulateur », le risque que celui qui régule une activité ne soit manipulé par celui qu’il est censé réguler. C’est pourquoi je suis en faveur d’autorités indépendantes, autorités qui irritent d’ailleurs patrons, politiques, pouvoirs publics et syndicats pour la bonne raison qu’elles sont indépendantes et incarnent l’intérêt général. C’est pourquoi je suis également en faveur d’un contrat de travail unique et simplifié, pas du maquis actuel qui fractionne le marché du travail et l’empêche de fonctionner, en entretenant surcoûts, suspicions et contentieux.

Ce que je n’avais pas prévu, c’est « la capture du salarié par le représentant syndical ». A partir du secteur public où il est minoritaire, il signe au nom de salariés pour lesquels il est ultra-minoritaire ! Pour en sortir, il faudra des instances syndicales vraiment représentatives au sein de chaque entreprise, offrant des services à leurs mandants et solidaires des décisions prises après débat par l’entreprise.

Ces propositions vont être jugées excessives, pire : « ultra-libérales ». Mais quand je vois les fermetures, le chômage et l’hésitation à embaucher dans notre beau pays, je me demande ce qu’il faudra pour se rendre, non pas à mes équations, mais à l’évidence. Le « Prix Nobel du bon sens » ?