Quand l’inflation sort du tube

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Le mot est de Jean-Claude Trichet : « l’inflation, c’est comme le dentifrice, une fois qu’elle est sortie du tube, c’est très difficile de l’y faire rentrer ! ». De fait, après des années d’attente, l’inflation montre sa couleur. Elle apparaît aux Etats-Unis. Le dernier indice des prix a augmenté de 0,2 % en septembre, contre 0,1 % en août et -0,2 % en juillet.

 Quand l’inflation sort du tube

La déflation s’éloigne et laisse place à sa symétrique : l’inflation. Sur un an, la voilà à 1,5 % en septembre contre 1,1 % les mois d’avant. Derrière cette inflation, le prix du pétrole joue un rôle, mais il varie en tous sens. C’est du côté des salaires qu’il faut regarder. Le coût du travail a augmenté de 0,6 % entre mars et juin et de 2,3 % sur un an, à fin juin. C’est l’inflation salariale qui vient. Et même en retard, avec ce taux de chômage à 5 % depuis des mois.Et ce n’est pas fini. La patronne de la Fed, Janet Yellen, a dit que, selon elle, des chômeurs n’avaient pas encore rejoint le marché du travail. Ils restent sous le choc de la crise de 2008. Donc il faut laisser monter encore les salaires et l’inflation tout en augmentant doucement les taux courts. Donc l’inflation « sait » qu’elle peut aller vers, peut-être, 2,5 % !

Allons au Royaume-Uni puis en zone euro. Le Brexit a fait baisser la livre de 15,8 %. Par rapport au dollar, elle est à son plus bas depuis trente ans. Cette livre ultra-faible aide à exporter et encourage les touristes, mais fait aussi monter l’inflation importée. La Banque d’Angleterre pense que l’inflation totale sera autour de 2% l’an prochain, puis à 2,4 % en 2018. Les marchés parlent de 4% ! En zone euro, l’inflation remonte à 0,4 %, à 0,5 % en France et autant en Allemagne.

L’inflation sort du tube ! On la voit dans les pays en plein emploi, passant par les salaires. On la trouve chez les autres, passant par les services. Donc les taux longs vont encore monter. Ils ne vont pas attendre les hausses des taux des banques centrales : ils savent qu’elles seront en retard. Ils vont même ne pas les écouter, pour prendre les devants. Autant de gagné ! Alors la bourse va s’interroger et regarder les entreprises trop endettées, avec trop peu de trésorerie.

Alors les banques centrales vont se réjouir et mesurer la pâte dentifrice sortie du tube : Etats-Unis d’abord, puis Royaume-Uni et Japon, puis zone euro. 2 % en vue ! Laissons faire, diront-elles. On entendra des pleurs : les entreprises qui ont trop profité des crédits en solde, les pays émergents qui vont trouver l’argent plus cher, les investisseurs qui vont se demander ce qui leur a pris d’acheter des bons du trésor à 50 ans qui leur rapporteront royalement 0,5 % ces cinquante prochaines années. Et comment l’expliquer aux clients !

Puis, disons dans un an, les Etats-Unis vont dire que c’est assez. Les salaires auront assez monté, les taux longs aussi, avec le dollar. Le commerce extérieur va piquer du nez, les profits aussi, donc la bourse. Derrière le chômage qui a permis la hausse des salaires vient l’inflation à combattre, par la récession.

Partout, on va alors se dire qu’on en a trop fait : trop de quantitative easing, trop de crédit pas cher pour désespérer l’épargnant et attirer l’emprunteur ! Trop de confiance et de liberté pour les banques centrales ! Quelle idée que leur « monnaie hélicoptère » ! La monnaie, amassée chez les ménages et les entreprises, va se dire qu’il faut sortir. Vite. Sortir pour acheter avant que les prix n’augmentent, acheter l’appartement avant que les taux ne prennent l’ascenseur. Et les entreprises vont penser que c’est maintenant ou jamais qu’il faut faire des OPA ou des OPE sur le concurrent. Mais c’est déjà bien tard.

Alors, on va tout faire pour faire rentrer l’inflation dans le tube. Janet Yellen et Mario Draghi vont dire que tout est sous contrôle : pas de panique ! On demandera à l’épargnant de rester en banque, on le paiera même pour cela ! On s’inquiétera des clients en assurance vie qui veulent vendre leurs obligations, quitte à prendre leur perte avant qu’elle n’augmente encore. On leur parlera. Peut-être qu’on les bloquera, s’ils persistent. Ambiance.

L’inflation n’est jamais celle qu’on veut, ni autant qu’on veut. Elle peut venir des salaires, impôts et taxes ou des importations. Mais, pour qu’elle se manifeste, il lui faut toujours de la monnaie. Et il n’y en a jamais eu autant, pour aussi peu d’inflation. Cependant, la monnaie ne dit jamais ce qu’elle va faire. C’est son secret, bien connu, dans son tube.