L’inflation est entrée dans la maison

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 L’inflation est entrée dans la maison

10 000 euros le mètre carré à Paris : pour un quatre pièces, un château dans le Poitou ! Si l’on veut, c’est moins cher dans le médiéval, mais le confort sera d’époque, plus frais de chauffage et d’entretien. C’est partout pareil : l’inflation n’est plus dans les prix de la vie courante, mais dans ceux des maisons, sachant bien sûr que la moyenne mondiale cache des écarts croissants, de -15% en Ukraine à +15% à Hong Kong en 2018. La géopolitique joue au niveau international, comme l’attraction des métropoles au niveau national, mais partout, l’inflation est devenue immobilière.

Le prix moyen mondial du logement vient de passer son ancien maximum de 2007, juste avant la crise mondiale des subprimes, ces crédits qui finançaient les ménages les plus fragiles aux États-Unis. Parti de 100 début 2000 (calculs FMI), l’indice mondial atteint 160 fin 2007, baisse à 143 en 2012 au pire de la crise, puis remonte à 162 aujourd’hui. Un peu parce que la crise se dissipe, mais plus parce que les taux d’intérêt sont très bas, pour sortir de crise ! Serpent qui se mord la queue : ces taux plus bas permettent en effet d’acheter plus cher… un même espace. Les prix du logement vont plus vite que les revenus et que les loyers dans plus d’un pays sur deux : le « pouvoir d’achat en logement » baisse, la rentabilité de la location aussi. Tout ceci ne tient donc que par l’idée que la hausse continuera, avec l’espoir de plus-value à la vente. Mais pour acheter quoi, et aller où ?

Les banquiers centraux se désespèrent, devant cette bulle qu’ils créent. La baisse des taux longs c’est eux, pour bien faire, et ce n’est pas fini. Ils ont acheté des milliards de bons du trésor, finançant le déficit budgétaire et faisant baisser les taux longs : le célèbre quantitative easing. Mais Mario Draghi n’est pas satisfait : « l’inflation vers 2% à moyen terme » n’est pas là. Seulement 1,5%. Il décide alors de financer moins cher les banques, par des programmes spéciaux, afin qu’elles puissent faire plus de crédit moins cher encore : ce sont les TLTRO (Targeted Long Term Refinancing Operation). Pourtant, les crédits au logement en zone euro progressent de 3,5%, et de 2,2% seulement ceux aux entreprises. En France, le crédit à l’habitat atteint 1013 milliards d’euros fin janvier, en hausse de 5,8% sur un an, avec un taux d’intérêt de 1,5% pour les derniers crédits à long terme. Pour les entreprises, leurs crédits à l’équipement augmentent de 6,8% sur un an et les derniers se font à 1,4%. Et ceux à l’immobilier augmentent de 5,1%, à 1,6%. Voilà financés 435 milliards pour l’équipement, et 286 pour l’immobilier. Quoi ? Les banques financent 720 milliards d’euros de crédits aux entreprises, soit 30% de moins qu’au logement ! Oui : les marchés font le reste, pour le moment.

À la Fed, l’inflation à 1,5% tétanise. Où est l’objectif affiché à 2%, alors que l’économie est en plein emploi ? Que va-t-il se passer si la croissance passe de 3% en 2018 à 2% en 2020 ? Baisser les taux courts, racheter des bons du trésor pour faire encore plus baisser les taux longs ? C’est dans les têtes : la construction remontera, avec la baisse des taux hypothécaires. Le prix médian d’une maison est de 226 000 dollars (indice Zillow), plus 7,2% sur un an, avant plus 7,5% en 2020, vers 243 000 dollars.

Jusqu’à quand cette course entre baisse des taux d’intérêt, pour repartir, et hausse des prix de logement, pour freiner ? Faut-il taxer plus l’immobilier dans le patrimoine des ménages, ce qui en fait monter le prix, subventionner les locataires ou les acquéreurs « modestes », comme on dit, ce qui en fait aussi monter le prix, ou bien construire enfin plus densément et plus haut dans les métropoles et leurs banlieues, ce qui le fait baisser ? Le drame de la politique monétaire des « taux trop bas trop longtemps » n’est pas seulement de pousser des entreprises, notamment fragiles, à s’endetter trop, de pousser les ménages à prendre des risques plus élevés, sans trop (vouloir) le savoir, pour chercher une rentabilité plus forte, mais de financer à bas prix des États qui ne font pas les réformes, en provoquant en même temps une hausse du prix des logements. Cette hausse, en France, fait que 16% des ménages modestes sont propriétaires en 2013 contre 32% en 1973 et que les dépenses des ménages liées au logement, eau et énergie représentent 70% du total des dépenses pré-engagées et 23% du revenu. L’inflation entre dans la maison, et le peuple sort dans la rue ?