L'Europe : soft power ou no power ?

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 L'Europe : soft power ou no power ?

L’Europe a toujours rêvé d’être seulement une puissance douce, trace sans doute de ce qu’il lui en a coûté de se frotter à la force, à la violence, à la sauvagerie.

Mais ce qui se passe aujourd’hui dans le monde lui dit : une soft power seule est une no power. En fait, la soft power seule n’a jamais existé. Tant pis pour les âmes sensibles. Tant pis pour nos rêves de peser seulement par la subtilité, la culture, l’art, le « je ne sais quoi ». Une soft power seule n’existe, en fait, que parce qu’une hard power lui demande de tenir ce rôle, et s’engage en contrepartie à la protéger, sachant bien sûr que tout le monde le sait et que cette hard power déploiera, elle aussi, tout l’arsenal du soft ! Les États-Unis développent ainsi leur puissance musicale ou cinématographique en sus de leurs bases militaires, pas à la place. Et la Chine déploie à vive allure ses Instituts Confucius, plus de 500, notamment en Afrique où elle était absente.

 

Vouloir que l’euro prenne bien plus de place dans les échanges internationaux ou se mette à être l’unité de compte du pétrole ou des avions est un doux rêve, face aux rapports de force mondiaux qui se tendent.

Regardons donc l’extraterritorialité qu’affichent les États-Unis pour le dollar, ou que commence à manifester la Chine pour le yuan. Ce que nous sommes évidemment hors d’état de faire. Vouloir que l’euro se répande, appuyé sur la qualité de la BCE est une chose, mais que dire quand des entreprises sont taxées par le Trésor américain si elles traitent avec l’Iran, par exemple ? L’Europe se porte fort de l’empêcher, et prépare pour cela des « conduits sûrs » en euros. Mais il y aura toujours une transaction, ici ou là, directement ou indirectement, qui se fera en dollars. Alors, s’il le juge bon, le Trésor américain s’impliquera, enquêtera, menacera, et taxera ! Donc aucune entreprise européenne n’empruntera « le conduit sûr » européen. En même temps, les entreprises américaines se font une raison de ne pas commercer avec l’Iran, puisqu’elles savent qu’aucun concurrent européen ou japonais ne le fera à leur place ! Ce sera la Chine… en attendant. Car on ne peut jamais totalement étrangler une économie, comme totalement encercler une place forte. Il faut lui laisser une issue de secours : elle l’a fait espérer un peu, pendant qu’on l’affaiblit beaucoup.

 

Vouloir que l’euro devienne une importante monnaie de réserve est un rêve plus éveillé encore.

Dans le montant de réserves déclaré au FMI fin 2018, le dollar pèse 62%, l’euro 21, le yen 5, la livre sterling 4 et le yuan 1,9 seulement. Mais la part chinoise vient de naître : elle était de 1,2% fin 2017, grignotant surtout celles du dollar (qui perd 1%) et de l’euro (qui perd 0,5%). Il semble donc assez évident que la part de marché internationale de l’euro ne va pas monter aisément, face à la double offensive chinoise, commerciale et financière, et à la résistance américaine. Offensive commerciale chinoise par l’intermédiaire de la Belt and Road Initiative, nouvelle appellation des Routes de la soie, qui demande aux pays reliés par la Chine d’échanger plus avec elle, en yuans. Offensive financière car, pour ancrer ses échanges, la Chine finance les infrastructures, ports, aéroports, routes et voies ferrées, tout en inaugurant des Instituts Confucius. Enfin, avec les excédents en yuan que les pays ont avec elle, la Chine voit d’un assez bon œil (en fait leur demande) qu’ils les gardent en yuan, comme monnaie de réserve.

 

Vouloir que l’euro devienne une monnaie mondiale, c’est sous-estimer le fait qu’elle dépend de sa propre stabilité politique et de la profondeur de ses marchés financiers, toutes deux relatives.

La Banque centrale européenne l’admet : Brexit et populistes n’aident pas. Si l’on prend la taille des économies, les États-Unis pèsent 19 400 milliards de dollars, la zone euro 12 600, la Chine 12 200. Mais si l’on prend leur croissance, la zone euro croît de 1% l’an en moyenne, contre 2,5 pour les États-Unis et 6 pour la Chine – donc le PIB chinois la dépassera l’an prochain. Si l’on prend enfin les titres de dette publique, support des réserves, le marché américain est écrasant : 16 600 milliards de dollars, dont 6 200 détenus dans des banques centrales étrangères, avec la Chine d’abord, pour 1 130 milliards !

Si elle veut renforcer l’euro, la zone euro, doit s’unir militairement, donc politiquement. Donald Trump et Xi Jinping en sont deux bons exemples : pour être soft il faut être hard !