Keynes appelle Montebourg au téléphone

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 Keynes appelle Montebourg au téléphone

Illustration : OFFICIAL LEWEB PHOTOS (CC BY 2.0)

 

John Maynard Keynes : Allo Monsieur Montebourg, Keynes on the phone. Je ne vous dérange pas ?

Arnaud Montebourg : Pas le moins du monde, même si vous venez de l’autre. Votre appel me trouble : que me vaut l’honneur ?

JMK : c’est plutôt vous qui m’avez troublé. Vous parlez en permanence, dans votre programme, du « multiplicateur keynésien », au point qu’il dépasserait la multiplication des pains ! Pardonnez cette saillie et venons-en au fait.

AM : je vous en prie…

JMK : voici : avec votre proposition, il suffit de creuser le déficit budgétaire pour qu’il se réduise ensuite. Pas jusqu’au surplus : même en matière de miracles économiques, il y a des limites. Mais c’est là une promesse très dangereuse pour la France !

AM : pourquoi ? Vous ne reconnaissez pas votre rejeton ?

JMK : pas vraiment, c’est plutôt Richard Kahn qui a parlé de grands travaux. Moi, j’ai parlé d’un jardinier de la banque centrale d’Angleterre auquel j’ai proposé (dans ma « Théorie générale ») de faire un trou dans la pelouse, puis de le reboucher, et ainsi de suite. C’est ainsi que la banque centrale, en créant de la monnaie, crée de l’emploi, indépendamment de ce que fait l’employé. L’essentiel est qu’il dépense, mettant en branle l’économie réelle.  Elle repart, en fonction du nombre de jardiniers mobilisés.

AM : mais ce n’est pas ce qu’on m’a dit !

JMK : et pourtant ! Assez vite, l’inflation anglaise montera, les taux d’intérêt à long terme aussi, la balance commerciale se détériorera, jusqu’à ce que la livre dévalue. Alors, l’inflation importée renforcera l’inflation interne. Les anglais endettés à taux fixe seront perdants, sans s’en rendre compte. Victimes de « l’illusion nominale », ils ne comptent qu’en Livres courantes ! Alors, le chômage recule, jusqu’à la prochaine fois.

AM : mais aujourd’hui, ce n’est plus possible ! Tout le monde suit l’inflation. Personne ne va se faire avoir sans réagir. En plus, nous sommes déjà en déficit extérieur et on ne peut plus dévaluer le Franc !

JMK : c’est bien pourquoi je vous ai appelé : pour ne pas associer mon nom à votre idée !

AM : quoi, vous voulez que je fonde mon programme sur « le multiplicateur montebourgeois » ?

JMK : « montebourgeois », pour faire descendre les bourgeois ! Moi au moins, je parlais d’ « euthanasie des rentiers » !

AM : cessez de vous moquer.

JMK : je cesse. Dans mon cas, et dans mon temps, la dette publique était détenue par des anglais et elle était à taux fixe. Ils étaient coincés. Mais, d’après ce que je sais dans mon cloud, plus de la moitié de votre dette publique est aujourd’hui en mains étrangères et vous n’avez pas de monnaie nationale !

AM : je crois entendre Valls-Macron-Fillon !

JMK : je ne connais pas ces économistes, mais je peux vous dire ce qui marche toujours…

AM : please!

JMK : les « esprits animaux », le besoin d’agir, plus l’attrait du profit…

AM : mais c’est l’attrait du profit qui nous a menés à la crise actuelle !

JMK : c’est pourquoi j’ai proposé en mon temps l’inflation, la dévaluation, l’euthanasie et mes successeurs « l’état providence ».

AM : génial, je veux continuer sur cette lancée avec un « état stratège » !

JMK : attention ! L’Etat est devenu la providence des fonctionnaires français, payés par les rentiers japonais et chinois. Et comment savoir ce qui va réussir dans cinquante ans et plus ? Il ne s’agit plus de trous dans la pelouse.

AM : vous voulez dire que le « multiplicateur keynésien » ne marche plus ?

JMK : oui, il est instable et potentiellement explosif. Maintenant, les dépenses sont ici, et fixes, tandis que les financements sont ailleurs et peuvent devenir plus chers, ou s’évanouir !

AM : mais c’est la base de mon programme, comme tous ceux de la gauche, et l’extrême-droite veut dévaluer !

JMK : je sais. « Dans le domaine de la philosophie économique et politique, rares sont les hommes de plus de vingt-cinq ou trente ans qui restent accessibles aux théories nouvelles. Les idées que les fonctionnaires, les hommes politiques et même les agitateurs appliquent à la vie courante ont donc peu de chance d’être les plus neuves. »

AM : et voilà du Macron !

JMK : mais non, c‘est à la fin de ma Théorie générale ! Le chômage d’aujourd’hui n’est pas l’insuffisance de demande, mais la réparation des folies de l’immobilier plus l’impréparation à Apple et LinkedIn !

AM : il faut que je change tout mon programme !

JMK : oui : le vrai multiplicateur d’aujourd’hui, c’est le multiplicateur de capital humain !

AM : ça, je prends !