Cordée : entre les premiers et les derniers, combien d’euros ?

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En France, entre le premier et le dernier de cordée, il faut compter 10 millions d’euros annuels (hors stock options et avantages divers) pour les patrons les mieux payés (Sodexo ou LVMH), contre 8 484 pour le RSA, ou bien 100 millions pour les footballeurs (126 pour Messi, 94 pour Ronaldo et 82 pour Neymar). Mais nous sommes là aux extrêmes : 1 000 fois plus de revenu entre riches patrons et un pauvre, 10 000 entre grands footballeurs et un pauvre. Mais tous les patrons ne dirigent pas LVMH et tous les joueurs ne sont pas Messi !

 Cordée : entre les premiers et les derniers, combien d’euros ?

Quittons ces extrêmes : allons voir les 10% les plus aisés. Ils gagnent plus de 37 570 euros par an. Comparons-les aux 10% les plus modestes, qui gagnent moins de 11 040 euros. L’écart entre ces deux groupes est de 3,4 : moins sensationnel, plus vrai. Et si on veut mesurer la pauvreté, avec l’Insee, on trouve qu’en 2016 8,8 millions de personnes vivent au-dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire perçoivent moins de 1 026 euros par mois. Ce chiffre est calculé à partir de 60% du revenu médian (qui divise la population en deux parts égales), soit 20 520 euros annuels. Les pauvres perçoivent près des deux tiers du revenu médian et représentent 14% de la population française. Ce sont 2,8 millions d’enfants, qui vivent dans des familles sous le seuil de pauvreté, 1,4 million de salariés, 1,1 million de chômeurs, 1 million de retraités, 800 000 étudiants, 500 000 actifs indépendants.

Ce taux de 14% diminue légèrement aujourd’hui, avec les hausses des minima sociaux. Il y a plus grave qu’ici, avec la Roumanie (25,3%), l’Espagne (22,3%) et la Grèce (21,2%). L’Italie et le Portugal suivent, avec 20,6% et 19%. Il y a mieux, avec la Finlande (11,6%), le Danemark (11,9%), la Norvège (12,2%) et les Pays-Bas (12,7%). Avec un taux de pauvreté à 13,6% (Eurostat), la France se situe parmi les plus bas taux d’Europe, inférieur au 15,9% du Royaume-Uni et au 16,5% d’Allemagne. Et ce taux est le plus faible des pays les plus peuplés d’Europe.

On ne peut pas se satisfaire de ces chiffres et de ces comparaisons. Et c’est ici qu’arrive la « cordée » d’Emmanuel Macron, le 13 septembre 2018, dans son plan contre la pauvreté. « Un premier de cordée, il a une corde et il est rattaché à d’autres, et c’est à dessein que j’ai employé cette formule. Il y a toujours des gens pour ouvrir une voie, il y a des gens plus véloces, il y a des gens qui ont plus de chances, il y a tout un tas de raisons. Mais il en faut ! Et tirer sur la corde pour qu’il monte moins vite n’aidera pas ceux qui restent en bas, c’est faux… Mais… celui qui monte se souvient qu’il a une corde, et cette corde, elle sert à quoi ? A l’assurer : il n’y a personne qui est premier de cordée, si le reste de la société ne suit pas ».

Nous sommes dans le Personnalisme d’Emmanuel (tiens !) Mounier et chez le Nobel Amartya Sen, entre philosophie et économie. Les travaux de ce dernier décrivent les rapports complexes qui nous unissent : pas seulement économiques, psychologiques et moraux aussi, ils fondent le succès des sociétés dans la durée. Avec Sen, rien n’est possible si chacun n’est pas concrètement libre de décider, pour s’épanouir. Il faut d’abord qu’il soit en bonne santé, bien nourri et logé. Il faut qu’il ait ces « capabilités » de base (Sen), pour manifester et accroître ses capacités, notamment financières, mais pas qu’elles. Pour Sen, il faut aider, pour libérer.

Du Rocard ? Sa loi RMI précisait : « Lors du dépôt de sa demande, l’intéressé reçoit une information complète sur les droits et obligations de l’allocataire et doit souscrire l’engagement de participer aux activités ou actions d’insertion dont il sera convenu avec lui dans les conditions fixées à l’article L.262-37 ». Mais où sont les vérifications et les sanctions, à côté des incitations ? Et le RMI devient RSA (la solidarité se veut Active) et le nombre d’allocataires de minima passe en métropole de 2,8 millions de personnes en 1990 à 3,8 en 2016.

Après Sen, Mendes France et Rocard, Macron s’engage ainsi dans les capabilités : petit déjeuner, repas à la cantine, gardes, crèches, classes dédoublées, logements à réhabiliter, Parcoursup, formation jusqu’à 18 ans, apprentissage, refonte des allocations chômages et des minimas sociaux… avec des engagements d’insertion. Ne pas enfermer dans l’assistanat et se mettre en position de retrouver une activité productive : oui. Mais dans la cordée, la confiance n’exclut pas la vérification.

 

Egalement publié sur Atlantico.