Battre les ordinateurs au jeu de l’emploi ?

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C’est clair : la machine est meilleure que l’homme pour jouer au Go, et bien meilleure aux échecs. Que va-t-il donc se passer pour l’emploi, si l’ordinateur peut tout réussir ?

 Battre les ordinateurs au jeu de l’emploi ?

Depuis sa victoire contre le russe Garry Kasparov en 1996, on sait que Deep Blue, la machine d’IBM, calcule de plus en plus vite toutes les combinaisons possibles aux échecs, à partir d’une position donnée. Elle bat alors n’importe quel Grand maître. Depuis quelques jours, on sait qu’Alpha Go, conçu par Google, peut battre le champion du monde du jeu, le coréen Lee Se-Dol. Et pourtant, on nous assure que le Go est bien plus compliqué que les échecs, avec des possibilités aussi nombreuses que les particules de l’univers ! Alors, cette machine qui joue au Go irait encore plus vite que celle qui joue aux échecs, ou bien fait-elle autre chose ? Bien sûr, elle va plus vite que ce cher vieux Deep Blue. Surtout, elle fait autre chose. Elle ne passe pas en revue l’univers des possibles, comme son ancêtre le faisait aux échecs : elle apprend en jouant, en analysant ce que fait l’adversaire. Elle n’est plus un catalogue qui balaie les stratégies, elle progresse en marchant, avec et contre son opposant. Les deux. Et nous, nous qui ne sommes ni champions d’échecs, ni de Go, qu’allons-nous devenir ? Allons-nous nous spécialiser dans le jokari et le rugby, et pour le reste rester sur le banc de touche ?

On comprend notre souci. La bataille de l’homme contre la machine a été celle de l’humanité, de sa croissance et de ses drames : l’un contre l’autre, mais jamais l’un sans l’autre, et toujours gagnée par lui. Heureusement, car à la fin il y a toujours eu plus de croissance et d’emploi que de drames. Mais aujourd’hui ? On peut s’inquiéter de cette machine qui ne se borne plus à faire, remplaçant nos muscles, qui ne se limite plus à vérifier, remplaçant nos yeux et nos oreilles, mais qui entend penser et imaginer, remplaçant notre cerveau, le reste ayant déjà été dépassé. Le cheval et le chien, au moins, étaient fidèles à leur maître. Ils ne le mettaient pas au chômage !

Aujourd’hui, avec le passage victorieux du jeu d’échecs au jeu de go, les batailles du travail peuvent changer de nature, en s’ajoutant aux autres. Les autres, ce sont celles du travail moins cher dans les pays émergents, renforcé par des machines plus rapides. Une part croissante du travail mondial s’y fait, transportée d’ici. Mat, comme aux échecs ! Mais ce travail émergent est lui-même sous pression. Les salaires y montent. Plus encore, les chaînes de production deviennent plus complexes et tissent de vrais réseaux mondiaux pour arriver au produit final, chacun devant être le meilleur dans sa partie, en changeant constamment. C’est du Go ! Enfin, les machines dans les pays industrialisés deviennent certes plus rapides, mais surtout plus rapidement adaptées à nos changements de goûts, de normes sociales et écologiques, pour répondre non pas moins cher et plus vite, mais comme il le faut. Plus complexe encore que le Go ? Enfin, une bonne nouvelle !

Le degré de complexité à franchir, pour satisfaire de façon efficace et rentable nos besoins en permanente évolution, c’est toute la question de la nouvelle compétitivité, donc de l’emploi, dans nos pays industrialisés. C’est l’inconnue, c’est aussi notre solution. Certes, le monde va continuer d’échanger et les traités de libre échange devenir plus fouillés. Certes, la politique monétaire va permettre de financer plus et moins cher des équipements plus sophistiqués. Certes, la politique budgétaire va donner du temps pour mener les réformes privées et publiques et avoir ainsi des structures plus efficaces, moins chères, et surtout des esprits mieux préparés.

Et si, au lieu de s’angoisser des emplois menacés, désintermédiés, condamnés, nous regardions ce qui va changer et, surtout, peut se développer ? Si, au lieu de mesurer un emploi par un temps donné et de croire le conserver en figeant sa durée ou en taxant sa flexibilité, on avançait vraiment ? Et si nous devenions plus agiles encore, dans le privé et le public, pour mieux combiner les réformes avec l’évolution des besoins ? Et si nous nous faisions des jeux permanents d’expériences et de corrections ? Alors, nous déstabilisons la machine par ces allers-retours, que nous seuls pouvons mener. Il ne s’agit pas de lutter contre elle, mais de fonctionner avec : plus d’échecs, plus de go, place au judo.